Défaite politique
Politiquement, ce gouvernement est encore plus logique. Il s'inscrit dans une logique de croissance économique, de remise à l'emploi et de réduction des prestations publiques (services publics, protection sociale) largement acceptée en Belgique et au niveau européen. Rationnellement, ce gouvernement est la meilleure garantie que notre pays respecte ses engagements budgétaires européens, en particulier ceux coulés dans le bronze du pacte européen de stabilité (ou TSCG).
Bref, la défaite politique que représente ce gouvernement (et le cortège de catastrophes humaines qu'il annonce) ne date pas du 11 octobre ni même du 25 mai 2014.
Trahison du MR ?
On peut se faire plaisir en tirant à boulets rouges sur la rouerie du MR. C'est facile mais à quoi est-ce que ça sert ? C'est consacrer qu'il devrait y avoir une solidarité plus grande entre francophones qu'entre personnes de gauche partout dans le pays.
J'éprouve le plus profond dégoût pour ce programme de gouvernement en général et pour ceux qui y ont contribué en particulier, tous et chacun. Mais ni plus ni moins qu'avant. Franchement, qu'y a t-il de nouveau sous le soleil ? Quatre partis asservis aux dogmes ultra-libéraux ont obtenu une majorité au Parlement et se sont alliés. C'est un problème colossal en soi mais en quoi est-ce étonnant ? La seule alternative numériquement crédible à cette éventualité eut été un vote massif en faveur du Parti Socialiste. Un vieux fond judéo-chrétien de charité m'empêche d'énumérer les trahisons multiples auquel ce parti s'est livré en 25 ans de pouvoir ininterrompu à tous les niveaux. Pour la bonne bouche, je rappelle tout de même qu'il n'a fallu que trois (!) semaines au gouvernement Di Rupo pour « réformer » les pensions, en décembre 2011...
L'énorme mensonge du MR (« Jamais avec la NVA ») me laisse de marbre. Je suis terrassé par les mensonges de proches (et je mets le PS dedans) mais l'ennemi, parce qu'il est mon ennemi, ne me déçoit pas lorsqu'il ment : il est déjà mon ennemi avant et je n'ai rien de plus ni de moins à lui reprocher. Il ne me trahit pas, parce que je ne lui ai jamais fait confiance et parce que je n'ai rien de commun avec lui.
Le danger de l'opposition facile
Avec près de 70 % de députés et 6 partis francophones dans l'opposition, on va se bousculer au portillon pour exister. Les efforts à fournir pour se positionner comme plus social, plus compréhensif, moins brutal ou excluant que le gouvernement seront, disons, très modérés. Bref, tout le monde aura l'air gentil, modeste, cool, compréhensif.
Le pire est que le corps social va souffrir et que demande un corps qui souffre sinon l'espoir que la souffrance cessera le plus rapidement possible ?
Écrire et relire l'histoire du mandat de François Hollande serait ici salutaire. Il n'est pas devenu « mauvais », simplement, il s'est facilement imposé comme le chemin le plus court pour se débarrasser de Nicolas Sarkozy. C'est exactement le même danger qui nous pend au nez. S'il est bien un point dans lequel l'efficacité de la gauche n'est pas à démontrer, c'est dans l'ampleur des conséquences des déceptions qu'elle suscite : ravageuses quant aux possibilités de penser et d'espérer.
Bref, le premier imbécile venu pourra mener une opposition efficace électoralement, et ce d'autant que la souffrance sociale ferme les esprits à la prospective et au long terme mais incline plutôt à faire n'importe quoi pour que ça s'arrête, le plus vite possible.
Sans vouloir noircir le tableau, il ne faut pas négliger la manière dont le gouvernement Michel va influer sur les esprits, les questions jusqu'ici inavouables d'une droite rance qui vont trouver place à s'exprimer (travail forcé des chômeurs, casse de la protection sociale, relégation lointaine des priorités écologiques, priorité accordée aux comportements « riches »). La défaite est consacrée au moment d'un vote horrible au Parlement, elle est préparée par le résultat des élections, mais elle prend racine lorsque la question soulevée trouve sa place dans le débat public comme possibilité : service minimum, pensions impayables, emploi à tout prix et à tout salaire, choix d'un modèle énergétique polluant la planète pour des milliers d'années, casse des solidarités, priorité aux « investisseurs » (qui sont en fait des spéculateurs).
Le long chemin d'une opposition rationnelle
Nombreux sont ceux qui pensent que ce gouvernement ne tiendra pas. Je souhaite ardemment qu'ils aient raison mais je n'en crois rien. On peine à imaginer un sujet de discorde entre partenaires flamands d'un gouvernement fédéral qui ont facilement formé une coalition entre-eux en Flandre. Et en quoi un MR disposant du poste de Premier Ministre, isolé parmi les partis francophones, prendrait-il le risque de se retrouver à court terme nu face à l'électeur ?
Ma crainte est que, à situation inchangée, nous nous dirigions vers une polarisation entre les deux plus importants partis francophones, entre un Parti Socialiste lavé de ses péchés par les événements et un MR qui aura eu le loisir de déployer son venin, en particulier en termes de culpabilisation individuelle des plus exploités d'entre nous.
Bref, chers amis, chers camarades, nous aurons peu d'occasions de nous ennuyer dans les semaines, les mois et, je le crains, les années à venir. Je crois en particulier que la vie des mandataires locaux de gauche, comme moi et d'autres, va devenir un enfer du quotidien, à courir partout pour éteindre les incendies et colmater les brèches.
La mère des priorités est selon moi de construire une opposition rationnelle, c'est-à-dire qui propose un modèle de société revu de fond en comble. Tout est à refaire.
- Notre relation à l'économique et à la technique (en particulier au numérique et à la manière dont les esprits se construisent).
- Notre relation au travail et à l'emploi, la différence entre les deux, l'importance de la contribution au 21ème siècle, dans un monde où la production de biens demande très peu de main d’œuvre.
- La manière dont nous planifions la production de notre énergie et ses conséquences sur la biosphère et, plus généralement, la construction d'un imaginaire collectif émancipé du consumérisme.
- Notre servitude au « pouvoir d'achat », sans doute la pire des idées « généreuses » en circulation.
- Redéfinir nos relations internationales, en ce compris celles à l'Union et à la Commission Européennes, pièges infernaux.