L’inénarrable Olivier Mouton nous avertit dans un article de ce phare de la pensée contemporaine belge1 qu'est le Vif/L'Express: « la montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable ». Avant de donner mon avis sur cette question d'importance, je propose trois lectures de cette sentence définitive : le premier degré du café du commerce, une analyse littérale et une lecture démocratique.
Commençons par le premier degré. Asseyez-vous au Café du Commerce, mesdames, messieurs, commandez-vous un verre et réfléchissons à ce que le nommé2 Monsieur Mouton veut nous dire. Sans doute y a t-il des partis « sérieux », et, si nous ne les aimons pas beaucoup, on sait ce qu'on a, on ne sait pas ce qu'on aura, et regardez comment ils ont gouverné par ces temps difficiles, après cinq cents et quelques jours, sans trop se disputer, en expulsant quelques afghans par ci, en démantelant un état fédéral par là, en rallongeant l'âge de départ à la pension sans trop de bordel, mais que voulez-vous, c'est nécessaire, avec l'Europe, les marchés, les agences de notation, en décidant de flanquer 55.000 chômeurs au CPAS puis en négociant subtilement une reculade, non, non, non, nous avons aussi du cœur, ce sera seulement la moitié, il y en a un peu, plus, je vous le laisse, gratos, et puis que voulez-vous, c'est ça ou c'est la NVA, alors je sais, ce n'est pas enthousiasmant et il n'y en aura guère pour se lever debout dans leur fauteuil le soir du 25 mai, mais bon, déjà qu'on a eu un hiver pas trop pourri, alors c'est pas si mal, et puis les Diables Rouges partent avec tous nos espoirs au Brésil, on a tout de même l'une ou l'autre petite raison de ne pas tous se pendre en même temps, et je peux faire des phrases encore plus longues, mais, je sens bien que je vous lasse, bon, qu'est-ce que vous reprenez ?
Littéralement, qu'est-ce que ça veut dire « la montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable » ?
On peut se demander ce qu'est un « petit parti ». Je croyais que, le 25 mai à 8 heures du matin, les urnes seraient vides, pas de grand, pas de petit, tous égaux, le peuple qui choisit, la glorieuse incertitude du sport, pardon, des élections... Mais passons.
Si un petit parti monte, jusqu'où doit-il monter avant de ne plus être un petit parti ? Et si un petit parti devient grand, est-ce que ça va aussi rendre le pays ingouvernable ou bien est-ce que ce sont ceux qui étaient grands et qui sont devenus petits qui sont priés de plus trop la ramener ? Et qui a vu que ce pays est gouvernable ?
D'un point de vue démocratique... Je suis désolé de rappeler que les élections, c'est le moment où on rebat les cartes, où on choisit, sur base du passé, du présent, du futur. Apparemment, ça ne semble pas trop être à l'ordre du jour : il faut être RÉ-A-LISTES3 ! Il y aurait donc, d'un côté, ceux qui savent comment on fait pour diriger un pays et puis les autres et le pire travers de la démocratie serait de confondre : on peut protester, se plaindre, un peu mais pas trop. Les éditorialistes, les journalistes plus ou moins grégaires4 nous resservent cette vieille soupe rance depuis l'émergence de l'écologie politique il y a une vingtaine d'années : il y a les partis RES-PON-SABLES d'un côté et puis il y a les autres. Oui, vous pouvez démocratiquement choisir les autres mais pas trop, pas tous à la fois. En gros, choisissez le PS ou le MR selon que vous voulez un peu plus de ceci ou un peu moins de cela, choisissez le CDH si vous ne pensez rien et ne venez pas nous rabâcher les oreilles avec une prétendue « nécessité de changer de modèle de société » !
En conclusion, le plus terrible est qu'il soit possible d'asséner de tels monceaux de bêtise sans honte, sur le mode « plus ça va mal, plus il ne faut toucher à rien ».
La bêtise (dont le titre « La montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable » est un sommet qui, à n'en pas douter, sera prochainement dépassé) est la ressource la plus facile à créer, la plus facile à partager et la plus contagieuse.
Ça tombe bien : ce sont précisément les partis qui exploitent le plus cette propagation qui, selon les enquêtes d'opinion, ont le vent en poupe. À ma droite, le PP, qui, je le sens bien, ne va pas tarder à nous servir du « Travail, famille patrie ». À ma droite toujours, Debout les Belges et son poly-inculpé Laurent Louis, exemple vivant de l'efficacité de la bêtise industrialisée.
À ma gauche, le PTB qui réussit le tour de force de se positionner simultanément comme suffisamment gentil pour ne pas trop inquiéter, comme assez révolutionnaire pour capter une légitime colère tout en mettant en avant des mesures petite-bourgeoises comme la réduction de la TVA sur l'énergie y compris pour les gros consommateurs et la poursuite de l'utilisation intensive de la sacro-sainte bagnole en ayant un programme en la matière qui est étonnamment compatible avec celui du MR.
Si le pays devait devenir ingouvernable, serait-ce parce que « le peuple » se prépare à mal voter ou serait-ce parce qu'il est de plus en plus difficile de tenir un débat d'idées, d'appréhender le monde dans ses complexités, économiques, sociales et écologiques et d'avoir l'espace pour expliquer un programme politique en dehors du vacarme ?
1Que dis-je : dans ce phare intemporel de la pensée universelle...
2Celui qui a dit « le bien nommé » sort...
3« Le réalisme, c'est la bonne conscience des salauds ». Je l'ai piqué dans « UTOPIA – After the walls », que j'évoquais ici
4Vous avez vu, je n'ai pas dit « moutonniers » ?
Commençons par le premier degré. Asseyez-vous au Café du Commerce, mesdames, messieurs, commandez-vous un verre et réfléchissons à ce que le nommé2 Monsieur Mouton veut nous dire. Sans doute y a t-il des partis « sérieux », et, si nous ne les aimons pas beaucoup, on sait ce qu'on a, on ne sait pas ce qu'on aura, et regardez comment ils ont gouverné par ces temps difficiles, après cinq cents et quelques jours, sans trop se disputer, en expulsant quelques afghans par ci, en démantelant un état fédéral par là, en rallongeant l'âge de départ à la pension sans trop de bordel, mais que voulez-vous, c'est nécessaire, avec l'Europe, les marchés, les agences de notation, en décidant de flanquer 55.000 chômeurs au CPAS puis en négociant subtilement une reculade, non, non, non, nous avons aussi du cœur, ce sera seulement la moitié, il y en a un peu, plus, je vous le laisse, gratos, et puis que voulez-vous, c'est ça ou c'est la NVA, alors je sais, ce n'est pas enthousiasmant et il n'y en aura guère pour se lever debout dans leur fauteuil le soir du 25 mai, mais bon, déjà qu'on a eu un hiver pas trop pourri, alors c'est pas si mal, et puis les Diables Rouges partent avec tous nos espoirs au Brésil, on a tout de même l'une ou l'autre petite raison de ne pas tous se pendre en même temps, et je peux faire des phrases encore plus longues, mais, je sens bien que je vous lasse, bon, qu'est-ce que vous reprenez ?
Littéralement, qu'est-ce que ça veut dire « la montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable » ?
On peut se demander ce qu'est un « petit parti ». Je croyais que, le 25 mai à 8 heures du matin, les urnes seraient vides, pas de grand, pas de petit, tous égaux, le peuple qui choisit, la glorieuse incertitude du sport, pardon, des élections... Mais passons.
Si un petit parti monte, jusqu'où doit-il monter avant de ne plus être un petit parti ? Et si un petit parti devient grand, est-ce que ça va aussi rendre le pays ingouvernable ou bien est-ce que ce sont ceux qui étaient grands et qui sont devenus petits qui sont priés de plus trop la ramener ? Et qui a vu que ce pays est gouvernable ?
D'un point de vue démocratique... Je suis désolé de rappeler que les élections, c'est le moment où on rebat les cartes, où on choisit, sur base du passé, du présent, du futur. Apparemment, ça ne semble pas trop être à l'ordre du jour : il faut être RÉ-A-LISTES3 ! Il y aurait donc, d'un côté, ceux qui savent comment on fait pour diriger un pays et puis les autres et le pire travers de la démocratie serait de confondre : on peut protester, se plaindre, un peu mais pas trop. Les éditorialistes, les journalistes plus ou moins grégaires4 nous resservent cette vieille soupe rance depuis l'émergence de l'écologie politique il y a une vingtaine d'années : il y a les partis RES-PON-SABLES d'un côté et puis il y a les autres. Oui, vous pouvez démocratiquement choisir les autres mais pas trop, pas tous à la fois. En gros, choisissez le PS ou le MR selon que vous voulez un peu plus de ceci ou un peu moins de cela, choisissez le CDH si vous ne pensez rien et ne venez pas nous rabâcher les oreilles avec une prétendue « nécessité de changer de modèle de société » !
En conclusion, le plus terrible est qu'il soit possible d'asséner de tels monceaux de bêtise sans honte, sur le mode « plus ça va mal, plus il ne faut toucher à rien ».
La bêtise (dont le titre « La montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable » est un sommet qui, à n'en pas douter, sera prochainement dépassé) est la ressource la plus facile à créer, la plus facile à partager et la plus contagieuse.
Ça tombe bien : ce sont précisément les partis qui exploitent le plus cette propagation qui, selon les enquêtes d'opinion, ont le vent en poupe. À ma droite, le PP, qui, je le sens bien, ne va pas tarder à nous servir du « Travail, famille patrie ». À ma droite toujours, Debout les Belges et son poly-inculpé Laurent Louis, exemple vivant de l'efficacité de la bêtise industrialisée.
À ma gauche, le PTB qui réussit le tour de force de se positionner simultanément comme suffisamment gentil pour ne pas trop inquiéter, comme assez révolutionnaire pour capter une légitime colère tout en mettant en avant des mesures petite-bourgeoises comme la réduction de la TVA sur l'énergie y compris pour les gros consommateurs et la poursuite de l'utilisation intensive de la sacro-sainte bagnole en ayant un programme en la matière qui est étonnamment compatible avec celui du MR.
Si le pays devait devenir ingouvernable, serait-ce parce que « le peuple » se prépare à mal voter ou serait-ce parce qu'il est de plus en plus difficile de tenir un débat d'idées, d'appréhender le monde dans ses complexités, économiques, sociales et écologiques et d'avoir l'espace pour expliquer un programme politique en dehors du vacarme ?
1Que dis-je : dans ce phare intemporel de la pensée universelle...
2Celui qui a dit « le bien nommé » sort...
3« Le réalisme, c'est la bonne conscience des salauds ». Je l'ai piqué dans « UTOPIA – After the walls », que j'évoquais ici
4Vous avez vu, je n'ai pas dit « moutonniers » ?