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Jean-Claude Englebert
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D’un étourdissement et d’une boucherie à l’autre (épisode 1)

6/24/2022

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En Belgique, durant le mois de juin 2022, le petit monde médiatico-politicien a bruissé autour du débat bruxellois sur l’interdiction de l’abattage sans étourdissement. Passons pour l’instant sur le fait que ce débat aurait mérité une analyse matérialiste, humaniste et émancipatrice et arrêtons-nous sur un autre fait : que d’autres étourdissements et boucheries se déroulent. Relevons simplement que l’actualité est en permanence, ou presque, accaparée par de tels débats mal emmanchés… Celui-ci, comme les autres, mériterait une analyse en soi, mais nous nous égarerions...En ce mois de juin 2022, nous en sommes au « mois 28 » de l’ère des pandémies. Cette période de 28 mois a été particulièrement riche en enseignements.
Au début de cette ère, la plupart des dirigeants politiques ont commencé par minimiser de manière criminelle la pandémie du COVID-19 : il fallait se montrer rassurant, « attendre », préserver l’activité économique. Chaque fois que ça a été nécessaire, les « autorités » ne se sont pas bornées à nier l’évidence de la gravité de la situation. Elles ont aussi décrédibilisé de simples mesures de protection, comme le port d’un masque, au motif que ces masques avaient été massivement détruits et étaient introuvables.
Mais les faits sont têtus, et rapidement, les systèmes de soins de santé se sont retrouvés à l’agonie, coincés entre les coupes sombres effectuées pour satisfaire aux exigences budgétaires et l’affluence de milliers de patients en mauvais état de santé. L’activité économique à préserver allait de toute manière se retrouver à l’arrêt. Donc, virage à 180 degrés: confinement, arrêt de toutes les activités « non essentielles », soutien financier massif à l’économie, 30 milliards d’euros en Belgique, 600 en France, répression aveugle, en particulier envers les plus exploités d’entre-nous, qui avaient le mauvais goût de ne pouvoir partir profiter du jardin de leur maison de campagne…
L’année 2021 aura été celle de la vaccination. Après un an à se contredire sans cesse, à faire usage de propagande, à être incapable de comprendre une pandémie comme une question collective et donc à culpabiliser les individus, indépendamment de leur condition, et bien devinez quoi, les campagnes de vaccination, outil dont l’efficacité est d’autant plus élevée qu’elle est collective, ont longtemps patiné.
À la fin de l’hiver 2021-2022, la pandémie semble maîtrisée. Les plans de soutien à l’économie ont formidablement fonctionné, au point que celle-ci surchauffe : des pénuries se profilent et le prix des combustibles augmente de manière vertigineuse en raison de la reprise de la demande dans une économie complètement libéralisée. Nous sommes nombreux à grelotter, tentant de limiter la casse face à l’explosion des factures de gaz et d’électricité. Sous le capitalisme, rien n’est jamais ni bon ni mauvais : tout est opportunité. Le problème est que ces opportunités correspondent à une augmentation sévère du coût de la vie, par propagation des factures énergétiques le long des chaînes de production.
Nous savons déjà depuis plusieurs mois que nos gouvernants vont nous faire payer la facture du soutien à l’économie, soit de ce qui a permis le formidable enrichissement des capitalistes, et cette facture est alourdie par la flambée des prix.
C’est à ce moment-là que le Président russe Poutine décide d’agresser l’Ukraine, au terme d’années de tensions régionales et géopolitiques avec les États-Unis, par pays d’Europe centrale interposés.
L’Europe occidentale se retrouve ramenée plus de trente ans en arrière, en bouclier du monde libre face à une Russie « conquérante ». Plutôt que de prendre acte de ce que nous nous trouvons entre deux impérialismes, que, quoi qu’il arrive, nous resterons voisins de la Russie, nos dirigeants enfilent leur costume de petits soldats de l’OTAN, bandent leurs muscles et sont déterminés à faire plier la Russie par tous les moyens, soit un train de sanctions, économiques principalement.
Nous sommes exposés, comme les habitants d’une grande partie de la planète, aux risques de pénurie alimentaire. De surcroît, l’incurie de nos dirigeants en matière énergétique, le recours continu et massif aux énergies fossiles, nous mettent en état de dépendance à cette même Russie que nous nous préparons à tenter de faire mettre genou à terre. Rude tâche.
Elle aura un coût écologique exorbitant, sur lequel il faudra revenir.
Mais elle a un coût financier colossal, et ce coût, nous devrons le payer, avec un coût humain tout aussi colossal pour les populations, les plus exploité.e.s en particulier.
Mais un autre problème se profile, à peu près totalement passé sous silence.
Nous vivons, depuis dix ans, dans un monde financier très particulier. Suite à la crise des subprimes, produit d’un capitalisme qui n’a eu de cesse de se débrider, suite à la crise des dettes publiques européennes qui s’en est suivie, le coût du crédit pour les pouvoirs publics était devenu nul ou même négatif, ce qui a permis aux États européens riches (Allemagne, Pays-Bas, France, Luxembourg, Autriche, Belgique,…) de ne pas trop se préoccuper de leurs emprunts. C’est ce qui a permis de passer sans trop de problème (pour les États) au-dessus de la crise du COVID. Ces conditions ne venaient pas de nulle part : elles étaient le résultat des politiques monétaires européenne et états-unienne visant à soutenir une économie atone.
Problème : cette période a pris fin avec l’agression de l’Ukraine par la Russie. Les taux d’intérêt ont littéralement explosé. Cela a deux effets qui se renforcent mutuellement.
Le premier est simple à comprendre : les budgets des États vont devoir supporter à nouveau des charges d’intérêt importantes, d’autant plus importantes que les finances publiques ont été mises à mal pour maintenir le capitalisme a flot pendant la crise du COVID.
Le second est encore plus pervers. Ces hausses de taux d’intérêt rendent les dettes plus difficiles à rembourser, ce qui met la pression sur les États, de l’Union Européenne en particulier, pour avoir des « finances saines ».
Après avoir porté la charge humaine de la crise du COVID, alors que pesait déjà sur nous la menace de devoir régler la facture et que nous sommes déjà soumis à une inflation très élevée, nous allons maintenant être confrontés à des États qui vont nous expliquer l’importance de se serrer la ceinture, alors que beaucoup d’entre-nous sont financièrement exsangues.
Gageons que les tentatives de nous étourdir ne vont pas manquer. Le « débat » sur l’abattage sans étourdissement en était une. Le « débat » sur l’immigration en est une autre qui fonctionne toujours bien : « c’est la faute de... ». Mais la boucherie qui se profile s’annonce particulièrement sanglante.
Une boucherie n’empêche cependant pas tout le monde de s’amuser : celle-ci donnera lieu à une dramatisation puis à la Xème représentation d’un sempiternel spectacle de nos clowns tristes des différents niveaux de pouvoir, à commencer par ces socialistes et écologistes qui ne manqueront pas de nous assurer de leur solidarité, de manifester contre eux-mêmes (comme ils viennent encore de le faire), pour réclamer aux gouvernements dont ils font partie des « mesures fortes qui répondent aux attentes de la population », de s’enfermer durant de longues nuits de négociations aux termes desquels elles et ils paraîtront, au petit matin blême, pour nous expliquer que « l’essentiel a été préservé », comprendre : « nous restons au gouvernement, nous allons continuer notre petit jeu, nous préservons nos petites entreprises que sont nos partis avec leurs armées d’employés et sans nous, ce serait pire ».
Cette boucherie ne cessera pas tant que suffisamment d’entre-nous ne se dresserons pas contre sa cause primaire : un système capitaliste intrinsèquement psychopathique. Se dresser contre lui a un coût. La question est de savoir jusqu’à quand nous éviterons de le payer...


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Qu’attendre de la COP 26 ? Tentative de réponse à Greta Thunberg

11/4/2021

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La COP 26 s’est ouverte ce 1er novembre 2021 à Glasgow. Elle est importante puisqu’elle est censée assurer un suivi des objectifs de la COP 21 de Paris. Côté négatif, personne ne s’attend réellement à de bonnes nouvelles. Côté positif, j’ai le sentiment qu’une part grandissante de la population se pose des questions, a minima. Comment s’en étonner alors que les manifestations des conséquences du réchauffement climatique se font toujours plus présentes et que les études scientifiques compilées par le GIEC sont de plus en plus alarmistes et que la comparaison de ces études dans le temps montre que les prévisions passées les plus précises étaient aussi les plus pessimistes ?
Côté positif également, des jeunes se mobilisent de façon de plus en plus visible et de façon suffisamment pertinente pour être l’objet de réactions (terme choisi à dessein) de conservatrices et conservateurs dont l’objectif premier semble être de leur cracher à la figure leur mépris tant pour leur combat que pour leur futur.
Je vais tenter d’être aussi bref que possible pour poser quelques balises quant à ce qu’il est possible d’attendre de la COP 26 et d’éventuelles suivantes, posant ainsi des éléments de réponse à ces jeunes, symbolisés par la figure de la jeune militante suédoise Greta Thunberg.
Vivre dans le surendettement
Lorsque j’avais 20 ans, j’ai fait partie d’un ménage vivant dans le surendettement, et j’ai assumé cette situation pendant une dizaine d’années. Les ressources de ce ménage étaient modestes, injustement modestes, mais les explications du surendettement n’étaient pas uniquement là : elles étaient de deux ordres.
Premièrement, l’affrontement entre une logique du « droit à » et une logique des moyens. Selon la logique du « droit à », on part des envies, des standards de consommation. Selon la logique des moyens, on part des rentrées, on soustrait les dépenses incompressibles et on contrôle le reste, d’une façon d’autant plus stricte que ce reste est faible.
Deuxièmement, le poids du passé, c’est-à-dire le fait qu’une partie importante des dépenses incompressibles consiste en des dettes passées à rembourser assez rapidement.
Ces deux ordres d’explications ne sont pas indépendants l’un de l’autre : partant de la logique du « droit à », il est assez facile de se lamenter sur l’injustice de devoir rembourser des dettes plus ou moins anciennes, correspondant à des évènements passés plus ou moins malchanceux.
Sortir de ce surendettement-là a exigé à la fois une grande discipline et d’affronter le passé sans pleurnicher. Cela laisse peu de place à la légèreté et implique d’aller chercher ses satisfactions ailleurs que dans la consommation.
Surendettement de l’effet de serre
L’effet de serre dont est issu le réchauffement climatique est principalement dû aux combustibles fossiles, dont le qualificatif « fossile » indique que ces combustibles ont emmagasiné de grandes quantités de carbone et que leur combustion renvoie ce carbone dans l’atmosphère sous la forme de CO2. Les combustibles fossiles ne sont pas la seule cause du réchauffement climatique : s’y ajoutent les émissions d’autres gaz à effet de serre, comme le méthane, et la diminution de la captation du CO2 par les végétaux et par les océans, ou encore les émissions liées à certaines réactions chimiques, comme la production du ciment.
Mais les émissions de CO2 sont premières en volume. De plus, ce CO2, gaz par ailleurs non toxique, est assez stable : il ne réagit pas avec les autres composants atmosphériques et ne disparaît de l’atmosphère que par absorption (par les océans ou par les végétaux). Et, depuis la révolution industrielle, ces émissions ont augmenté la concentration de CO2 dans l’atmosphère de près de 50 %, malgré les absorptions mentionnées.
Donc, le problème du réchauffement climatique peut, en première approximation, être représenté comme un problème de surendettement : pour ne pas augmenter la température moyenne à la surface de la planète de plus de 1,5°C (pour éviter la catastrophe quasi immédiate pour de nombreux États insulaires) ou de plus de 2°C (pour éviter des catastrophes plus importantes en taille et en nombre), et bien il nous reste un certain « budget » d’émission de CO2 : de façon presque mécanique, si on le dépasse, alors on va directement dans le mur.
C’est aussi simple que ça ? Oui, c’est aussi simple que ça.
En fait, non, c’est plus compliqué que ça, pour deux raisons.
D’abord, le « budget », le « droit » d’émettre du CO2 est inconnu. Mais exprimé en termes d’émissions annuelles actuelles, il s’agit d’un petit nombre : dix ans selon certaines estimations, beaucoup moins selon d’autres (en fait, selon certains modèles respectables, ce budget serait maintenant à peu près à zéro).
Ensuite, que faire si ce budget est dépassé ? S’en fiche ? Non : limiter le plus possible les émissions, puisqu’au plus loin on ira en termes de dépassement, au plus les évènements catastrophiques vont augmenter en nombre et en ampleur.
Évidemment, pour savoir où taper le plus rapidement possible, il faudrait se poser la question de savoir :
    • qui « bouffe » actuellement ce budget ;
    • qui l’a « bouffé » par le passé.
Nous reviendrons là-dessus plus loin. Pour l’instant, revenons à notre COP 26 et au processus de COP en général.
Les COP pour gérer le surendettement ?
Sur base de ce qui précède, on pourrait se dire que les COP sont destinées à gérer au plus près le surendettement. En fait, ce n’est absolument pas le cas. Pour que ce soit le cas, il faudrait que la base des COP soit un objectif global d’émission de CO2 à ne dépasser sous aucun prétexte (avant, évidemment, de s’écharper sur la manière d’y arriver). Mais ça ne fonctionne pas comme ça et ça n’a jamais fonctionné comme ça.
Historiquement, à chaque fois qu’il a été question de fixer des objectifs globaux et contraignants, les COP ont volé en éclat. Ça a été le cas lors de la signature du protocole de Kyoto lors de la COP 3 en 1997. Ça a été le cas lors de la COP 15 en 2009 à Copenhague et ça a été le cas lors de la COP 21, à Paris en 2015 : les accords n’ont jamais été obtenus avant tout qu’au prix de l’abandon de la contrainte, donc de la logique du surendettement. Le pompon a été décroché par la COP 21, basée sur des « contributions volontaires déterminées sur base nationale » : on demande ce que chacun est prêt à économiser, on se met en rond puis on applaudit, en promettant sans rire de limiter le réchauffement à 2°C et de le garder « aussi proche que possible » de 1,5°C.
Alors, vous allez me dire que ce n’est pas possible de réunir tant de gens pendant si longtemps aussi souvent pour arriver à un résultat pareil.
En fait, les discussions portent avant tout sur les manières de s’adapter aux conséquences du réchauffement et sur les manières de faire rentrer des carrés dans des ronds sur base de différents moyens visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces moyens sont de différents types. Techniques d’abord : production d’énergie renouvelable, économies d’énergie, stockage du CO2, bref toute une série d’opportunités d’affaire soumises à des questions comme : les droits de propriété intellectuelle, les rapports de force géopolitiques concernant la mise en œuvre de ces solutions, etc. De compensation ensuite. L’idée, appliquée à plusieurs reprises, est ici qu’un émetteur de CO2 s’engage dans un mécanisme de compensation de ses émissions, classiquement en prenant en charge ce qu’on appelle des « puits de carbone », typiquement des forêts. Le fait de savoir si ces forêts correspondent vraiment à de nouvelles captations de carbone ou si elles ont des conséquences négatives pour les populations riveraines n’est pas à l’ordre du jour. Moyens financiers enfin, sous la forme d’instruments financiers visant à donner un prix aux émissions de CO2, dans l’espoir que ces prix orienteront la consommation vers les productions les plus sobres en émissions.
Bref, en résumé, là où on pourrait s’attendre que la question des émissions de CO2 soit gérée comme on gère un surendettement, en commençant donc par se poser la question de savoir dans quelle mesure il faut réduire la voilure des dépenses (lire : les émissions de CO2), cette question est gérée sur base de manières de faire du business.
Est-ce que cette manière de faire traduit une stupidité particulière parmi les participants aux COP ?
Absolument pas. Simplement, il s’agit des règles du jeu des COP, et ces règles sont écrites : pas touche aux modes de vie, aux modes de consommation, c’est rigoureusement interdit par la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC). Les seuls outils disponibles aux COP sont des outils qui s’insèrent dans le système économique.
D’où vient la dette ?
Nous nous posions plus haut la question de savoir qui avait consommé le budget CO2 passé et qui le consommait actuellement. C’est évidemment fondamental, même si on réussit à formuler la solution au réchauffement climatique comme un problème de surendettement. Lorsque j’ai formulé mon problème personnel, il y avait une seule gestion de rentrées et de sorties. Mais ici, il y a autant de flux de rentrées et de sorties que de pays signataires des COP. Donc, pour savoir qui prendra quelle part de la charge, il faut répondre à cette question.
Pour le passé, c’est simple : ce sont les pays riches, industrialisés de longue date, essentiellement les États-Unis, la Grande Bretagne et les pays de l’Union Européenne. C’est évidemment très important quand il s’agit de savoir qui pourra encore « taper » dans le budget futur. Problème : les pays moins riches, qui n’ont guère de responsabilités dans les émissions passées sont aussi ceux qui n’ont guère de puissance pour imposer cette forme de justice.
Et pour le présent ?
Le plus gros émetteur est connu : c’est la Chine. Le second plus gros émetteur est les États-Unis, quatre fois moins peuplés cependant. Les pays européens sont relativement sages, à l’exception de gros producteurs de charbon, comme la Pologne. Comment cela se fait-il ? Et bien, une des raisons les plus importantes est que la production industrielle a été délocalisée. Et là, on sent bien où est le problème. Pour prendre un exemple concret, la disparition de la métallurgie belge n’a pas causé de diminution de la consommation d’acier (voitures par exemple en Belgique). Et les émissions liées à la production d’acier ? Et bien elles sont importées, tout simplement : émises dans un pays du Sud pour des biens utilisés au Nord.
Évidemment, les COP devraient tenir compte de ces importations d’émissions. Problème : c’est interdit. Donc, ce n’est pas fait. Point. Circulez, il n’y a rien à voir… Aucune chance qu’une solution juste émerge des COP.
Synthèse
Nous avons vu jusqu’ici que les COP ne sont pas conçues pour répondre à l’enjeu climatique.
Complot ? Méchanceté foncière ? Volonté de nuire ?
Non, rien de tout ça. Simplement, une question d’hypothèse de travail et de priorités.
Lorsque je formule le problème du réchauffement climatique comme un problème de surendettement, je formule implicitement l’hypothèse qu’il n’existe aucune échappatoire et que ne pas résoudre ce problème empêche tout le reste. Mais c’est une hypothèse assez forte. Elle est certes à la hauteur de l’enjeu et à la hauteur des revendications de Greta Thunberg et de ses jeunes ami.e.s ou encore des petits États insulaires menacés de submersion, mais ce n’est malheureusement pas celle sous-jacente aux COP.
L’hypothèse sous-jacente aux COP est qu’il est interdit de toucher au modèle économique actuel. Ce modèle n’a même pas besoin d’être formulé explicitement. Il suffit simplement que toutes les rubriques des COP convergent vers le même objectif : la poursuite du processus d’accumulation capitaliste, critère auxquels répondent les outils à disposition des COP : solutions techniques, compensation, instruments financiers.
Conclusion
C’est peu dire que les jeunes qui manifestent, symbolisés par Greta Thurnberg, sont mal barrés, au même titre d’ailleurs que l’intégralité des plus démunis de par le monde. Les deux catégories se recoupent partiellement : les pays riches sont à la fois ceux qui ont le pouvoir et dont les populations sont les plus vieilles. Ces deux raisons se croisent : celles et ceux qui auront le moins à subir les conséquences du réchauffement climatique sont aussi celles et ceux qui le vivront le moins longtemps et qui auront le plus de possibilités de se prémunir de ces conséquences. Mais jeunes et pauvres ne se recouvrent pas totalement : à échéance donnée, les démunis seront les plus exposés, partout dans le monde.
Passons rapidement sur la manière dont ces conséquences peuvent être anticipées. Il s’agit moins d’un chaos soudain qui frapperait une partie importante des habitant.e.s de la planète que d’une succession de conséquences de plus en plus graves, disséminées, difficiles à relier les unes aux autres et augmentant les tensions d’ordres divers : migrations ou difficultés d’accéder aux ressources de base.
La voie offerte par les COP est celle du solutionnisme et de la « transition ». Tordons d’un même geste le cou de ces deux canards. Le but du solutionnisme, nous l’avons vu, est de « tout changer pour que rien ne change », dans le cadre d’une « prospérité » qui ne sera ni partagée ni porteuse d’un espoir de sortie de crise. Ce solutionnisme fait abondamment référence à la notion de « transition » énergétique, soit le passage des énergies fossiles à des sources d’énergie non émettrices de CO2. Problème : de transition, il n’y a jusqu’ici point eu. Certes, la production d’énergie renouvelable n’a jamais été aussi importante qu’actuellement, mais il en va de même pour la production d’énergie à partir de gaz, de pétrole et de charbon. En gros, la transition du solutionnisme consiste à tenter de remplir une baignoire avec un tout petit robinet alors que la fuite est béante. Si transition il doit y avoir (et il doit y en avoir une!), ce sera dans le cadre d’une diminution générale et drastique de la consommation d’énergie, diminution radicalement incompatible avec le solutionnisme des COP.
Que faire ?
Nous voyons bien que l’enjeu du réchauffement climatique n’est pas une simple dispute à propos des solutions ni une question de mauvaise volonté ou de mauvaise foi. C’est tout simplement une question d’intérêts divergents qui s’affrontent, et dans cet affrontement, celles et ceux qui souhaitent « tout changer pour que rien ne change » font énormément de bruit, occupent tout l’espace de discussion, même. Dans une telle situation, la seule voie de salut, la seule voie non pas pour obtenir une solution mais simplement pour pouvoir commencer à travailler sérieusement à une solution, c’est de réduire ses adversaires au silence.
Cette affirmation peut paraître un peu brutale, mais sa brutalité dépendra, en dernière analyse, non pas de la détermination de celles et ceux qui ont un intérêt à une sortie de crise mais bien de l’acharnement de celles et ceux qui tiennent actuellement le haut du pavé, et ce n’est que de manière indirecte que la détermination jouera un rôle. Et cette détermination devra servir avant tout à briser les mécanismes d’accumulation capitaliste qui ont un intérêt objectif à ce que perdure l’ordre actuel des priorités, d’abord l’économie, ensuite le climat.
Exprimer cette détermination commence par une émancipation. Arrêtez de vous adresser aux puissant.e.s en leur demandant des solutions et des actes : ils ne le feront pas, ils n’y ont aucun intérêt, ni de classe, ni de génération. Réduire au silence, c’est d’abord ne plus écouter ses ennemis.
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L’humanité menacée par les réponses qui sont apportées aux crises écologiques

12/2/2019

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Photo(c) HANDOUT AFP
Les crises écologiques sont – dans une large mesure à juste titre – pointées comme des menaces pour l’humanité.
Si je dis « à juste titre », ce n’est pas sur le ton alarmiste habituel, en tant que menace pour l’existence de Sapiens Sapiens : je crois que le risque est que, avant de disparaitre, nous perdions ce qui fait de nous des humains, soit des animaux qui ont, ces dernières dizaines de milliers d’années (au moins) développé des civilisations, soit des modes de vie où peuvent (entre autres) s’exprimer l’affection, l’empathie et les arts, se développer les sciences en tant qu’exercice de la raison, l’éthique et toutes les constructions sociales qui permettent la sociabilité gratuite, au sens le plus large : avoir du soin pour les plus faibles, partager, être capables de s’élever ensemble.
Il suffit de voir à quoi nous sommes ramenés dès qu’un problème se présente (un attentat, une menace de pénurie, une grève,…) pour comprendre que le jour où ce qu’on appelle « l’Anthropocène » (concept sur lequel je prépare un bouquin) donnera sa pleine mesure, et bien nous nous comporterons ni mieux ni pire que les passagers du Radeau de la Méduse et deviendrons capables de littéralement nous manger entre nous.
Mais ce n’est pas de cela dont je veux parler ici : je mentionne ces crises simplement pour cadrer le débat.
Deux faits animent mon texte. Le premier est une prise de position de l’association Natagora, qui vise à réduire le rôle prédateur du chat, dans le cadre de la préservation de la biodiversité. Une des mesures préconisées est de limiter leurs sorties (le texte est ici1) pour réduire le nombre d’oiseaux mangés par des chats. Je pense qu’on s’enfonce dans le délire. Je ne revendique évidemment aucune objectivité envers les chats. Je veux simplement pointer que leur présence en tant qu’animaux domestiques est un rappel de la vie sauvage parmi nous. Même nourris aux croquettes et profondément endormis sur un canapé, oui, les chats restent de petits félins indomptables. Même capables des pires bassesses manipulatrices pour faire de nous ce qu’ils veulent, ils restent un témoignage bien présent de ce qu’est une pyramide alimentaire qui n’a que faire des débats sur l’étourdissement de la nourriture animale. Enfin, ce témoignage de la vie sauvage est très utile pour notre propre éducation et celle de nos enfants. On ne peut traiter un chat comme une peluche faute de quoi on s’expose à un méchant coup de griffe ou à des incisives plantées profondément dans une main. Et je trouve cela très bien ainsi.
Aussi, restreindre la liberté de ces petits félins au nom de ce que les oiseaux sont en voie de disparition est injuste, irresponsable et idiot.
C’est injuste parce que ce ne sont pas eux qui ont porté atteinte à la biodiversité.
Irresponsable parce que « nous » ne prenons pas nos responsabilités. La diminution du nombre d’oiseaux est avant tout question de pollutions diverses et de réchauffement climatique.
Idiot parce qu’il leur est bien plus difficile de porter atteinte à la vie d’un oiseau qu’à celle des petits rongeurs qui peuvent être bien dérangeants pour nos habitats et jardins.
Bref, les recommandations de Natagora sont comme l’enfer, pavées de bonnes intentions. Elles ont une portée symbolique et pratique importante et sont emblématiques de la folie qui nous gagne et de ce que nous y perdons notre humanité au sens où je l’évoquais ci-dessus.
Le second fait qui attire mon attention est l’utilisation par la ville de Katovice de drones détecteurs de pollution, drones utilisés pour punir d’amendes les contrevenants. La mesure est rapportée par la RTBf ici. Elle est emblématique du « solutionnisme technologique » analysé avec beaucoup de justesse par Evgeny Morozov dans son ouvrage « Pour tout résoudre, cliquez ici2 ».
Ce solutionnisme technologique est aveugle aux déterminismes sociaux et ne se pose pas de questions. Qu’il soit plus facile aux plus aisés financièrement de moins polluer en se chauffant et que cette approche passe sous silence les autres comportements néfastes de ces nantis (en gros, la consommation plus importante, sous couvert de bonne conscience) n’entre en rien en considération. Notons que le drone n’ajoute aucune fonction. Les capteurs utilisés existent déjà. Simplement, ils sont jusqu’ici actionnés par des bipèdes omnivores qui se déplacent, constatent et permettent au droit (même au droit de l’environnement) d’agir.
Ce solutionnisme technologique marche dans les pas d’une autre forme de solutionnisme, qui date de plus de 200 ans, et qui a consisté, sous le règne de Napoléon Bonaparte, à codifier les questions environnementales. Alors qu’auparavant, les questions de pollution étaient du ressort de la police, un « droit de l’environnement » a été institué3. Ce droit est régi par des permis. Ces permis sont contraignants, au sens où « on ne permet pas n’importe quoi » mais ils offrent une protection juridique au pollueur : une fois le permis obtenu, il a tous les droits dans le cadre de ce permis, quelles qu’en soient les conséquences4. Vous avez aimé les zones industrielles où la pollution coupe l’espérance de vie ? Vous adorerez les drones qui se focalisent sur certains polluants (forcément) et vont donc vous expliquer que vous n’avez aucune raison de vous plaindre puisqu’ils n’ont rien détecté.
De manière beaucoup moins bien documentée, cette approche des questions environnementales s’inscrit dans une « smartification » généralisée de la société. Depuis la nuit des temps, il existe des conflits entre humains, certains plus ou moins sympas, d’autres plus ou moins teigneux, certains de bonne foi et de bonne volonté, d’autres mal lunés et qui ne veulent rien entendre, certains traitant au moins pire les urgences, d’autres se vautrant dans leur égoïsme. L’avènement des technologies numériques a bouleversé tout cela dans l’indifférence politique la plus totale : il n’y a plus d’humains, il y a d’abord des données, des données produites, collectées, traitées statistiquement, comparées pour établir des « faits incontestables », au nom de ce qu’ils sont le résultat de calculs. Ces faits produisent des signaux : une amende ou un « score social » dont les meilleurs d’entre nous pourront se prévaloir et dont les autres n’auront que le silence pour boire leur honte.
Avec de telles techniques, les amendes ne seront bientôt même plus nécessaires : il suffira, au nom de la « transparence » et de la « démocratie » de publier les chiffres pour que toutes celles et tous ceux qui le peuvent tentent de se conformer au mieux aux « attentes », qui n’auront même plus à être formulées. Nous vivrons alors dans un monde merveilleux où chacun est le flic de tout le monde5. Ce monde est déjà là dans les métropoles en nombre croissant qui ont mis un place une LEZ : Low Emission Zone, encadrée par des radars qui détectent non pas la pollution de VOTRE véhicule mais bien si celui-ci satisfait en théorie aux normes d’émission6.
Précisément, il faut contester ces faits dans la manière dont ils ont été établis et en raison de ce qu’ils produisent.
Dans la manière dont ils ont été établis parce cette manière porte sa réponse en elle. Les drones déployés au dessus de Katowice, ou la LEZ établie autour de Bruxelles, ne vont jamais détecter le mal fait aux corps par un travail dans des conditions insalubres, que l’insalubrité soit physique ou mentale. Ils ne vont jamais détecter la toxicité d’une société de surconsommation qui engendre dégâts sociaux ici et pollutions là-bas.
Lorsque je parle de cette manière de procéder, je n’ai souvent pas la possibilité de terminer ma phrase. Je peux être interrompu de deux manières différentes.
Parce que je serais un technophobe tout d’abord. Moi, technophobe, alors que j’ai écrit des dizaines de milliers de ligne de code et conçu des centaines d’algorithmes, que j’en concevrai encore quelques uns dans le futur et que je suis un gros producteur d’analyses statistiques. Simplement, le fait de plonger aussi régulièrement mes mains dans ce cambouis numérique me porte à prendre distance par rapport à l’autorité que cela confère. Je suis le premier, sans sombrer dans le plaidoyer pro domo, à pouvoir expliquer l’utilité de ce travail. Mais je suis également le premier à ne jamais relâcher mes efforts pour saper le caractère autoritaire de ce travail. Oui, il est utile, oui, il permet de répondre à des questions auxquelles il aurait autrement été impossible de répondre mais oui, aussi, la réponse fait, d’une manière ou d’une autre, partie de la question, et perdre cela de vue est la meilleure garantie de se noyer dans le totalitarisme numérique.
L’autre argument avec lequel je suis interrompu est qu’il ne s’agirait que d’un début. Alors, ça, oui, je suis d’accord : ce n’est qu’un début. Mais ce n’est pas un bon début : c’est un mauvais début. C’est un début qui produit l’exclusion de toutes celles et tous ceux qui n’ont aucun bénéfice à en attendre (voir ci-dessus) et de toutes celles et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre ont des préoccupations à un niveau bien inférieur à celles relayées par ces machines connectées, machines à produire des « faits incontestables ». En bref, c’est un début qui ne fera qu’alimenter la rage des déclassés. Vous avez aimé les Gilets Jaunes ? L’écologie numérisée vous fera adorer la suite...
D’un point de vue écologique, c’est un début qui ressemble à la fable du soûlard qui, ayant perdu ses clés nuitamment, s’obstine à les chercher dans le halo de lumière d’un réverbère. Pourquoi les cherche t-il là ? Et bien parce qu’ailleurs, il fait noir. Cette manière de pratiquer l’écologie passera toujours à côté des zones que l’on n’aura pas voulu éclairer. Elle ne résoudra donc rien du tout.
Pour conclure, faute de contester ces faits, il n’y aura aucune humanité sauvée. Cela ne sauvera rien du tout, comme je viens de l’expliquer. Et cela fera agoniser ce qui reste d’humain en nous, nous transformant en autant de chiens de Pavlov, réactifs aux signaux, finissant par les intégrer et par les anticiper.
1 Ce texte est évidemment bien plus nuancé que ce qu’en a fait une certaine presse fangeuse qui titrait sur l’interdiction de laisser sortir les chats...
2Traduction en français chez FYP éditions : https://www.fypeditions.com/resoudre-laberration-du-solutionnisme-technologique-evgeny-morozov/.
3Voir l’incomparable ouvrage « L’évènement Anthropocène », par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz : http://www.seuil.com/ouvrage/l-evenement-anthropocene-jean-baptiste-fressoz/9782021135008.
4Même lorsque ces conséquences sont la mort de 64 personnes en vallée de la Meuse, comme expliqué brillamment par Alexis Zimmer dans son ouvrage « Brouillards toxiques » : http://www.zones-sensibles.org/alexis-zimmer-brouillards-toxiques/
5Monde décrit avec brio par Alain Damasio dans « La Zone du Dehors » : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Zone_du_Dehors
6Normes dont le « scandale Volkswagen » nous rappelle tout le bien qu’il faut en penser...



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Lettre à mon ami anticapitaliste

5/5/2019

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Alors que je mettais en cause sur un zéro social le bien-fondé d’être « anti-capitaliste », tu m’as répondu « J’en ai ras le cul de ces débats intellectuels à la mord (sic) moi le nœud. Aussi inutile qu’improductif, sorry1 mon Ami. ».
Je te laisse la profondeur de tes arguments, l’utilité et la productivité de ton propos.
Nous nous connaissons depuis 35 ans, époque à laquelle nous étions tous les deux membres de la Jeunesse Communiste. C’est au nom de cette appartenance que je te réponds et au nom de notre amitié aussi.
D’abord parce que nous en avons connu des slogans ronfleurs : nous allions tout casser et on allait voir ce qu’on allait voir ! On a vu…
Moi, ce que je vois, c’est que la condition pour qu’un projet politique soit adopté, donc soit accepté et porté, revendiqué, c’est qu’il repose sur du concret, un avenir dans lequel on puisse se projeter. Pour être… concret, je prends un exemple. Je suis anti-nucléaire : je pense qu’il faut supprimer le plus rapidement possible toute trace d’utilisation de l’énergie nucléaire et des armes nucléaires et je pense qu’il aurait mieux valu ne jamais y avoir recours. Mais si je veux convaincre, je dois au moins autant expliquer ce que je veux que ce que je ne veux pas : volume d’utilisation d’énergie, sources, lutte contre les gaspillages etc. C’est utile d’être anti-nucléaire pour s’opposer à la construction d’une nouvelle centrale, à la prolongation de la vie des centrales existantes, bref, pour faire de l’activisme mais pas pour montrer combien nous serions plus heureux sans recours au nucléaire civil et militaire.
Là, on pourrait croire qu’on va être d’accord toi et moi : ben voilà, on fait de l’activisme, on mobilise et on élimine le capitalisme !
Je ne suis pas d’accord pour une raison que je trouve importante. Combattre et vouloir remplacer un système de société sans en avoir compris les ressorts, c’est l’échec assuré. D’abord parce que on a toute les chances de commettre les mêmes erreurs (nos « amis » du « socialisme réellement existant » ne s’en sont d’ailleurs pas privés). Ensuite parce que cela empêche de reconnaître ses forces et donc de voir ce à quoi il faut faire gaffe quand on met autre chose en place.
Comprendre, essayer de comprendre, est à la fois la première et la dernière résistance : la première dans l’ordre chronologique et la dernière parce que si on y renonce, alors tout est vraiment perdu.
Et ce que moi j’observe, c’est précisément l’abandon en rase campagne de la démarche de compréhension de ce qui se joue. Pire, par tes propos, tu encourages à ne pas même simplement vouloir réfléchir en sachant pertinemment qu’ils sont partagés par beaucoup puisque c’est l’époque des petites phrases et des slogans et je trouve cela consternant et proprement scandaleux. J’en ai honte.
Alors partant de là, qu’y a t-il à comprendre ?
Et bien, espèce de tête de nœud, tout d’abord que, contrairement à l’utilisation civile et militaire du nucléaire ou contrairement, par exemple, à l’avènement du fascisme ou du nazisme, l’avènement du capitalisme n’est pas le résultat d’un rapport de force politique, d’une décision qui se serait prise à un moment donné : c’est le résultat d’une évolution sociale des forces productives. Qui dit cela ? Karl Marx.
En d’autres termes, c’est une sorte d’évolution, de la même manière que la sédentarisation a été une évolution par rapport au nomadisme et que le système des sédentaires était plus efficace que celui des nomades ! Et cette sorte d’évolution est artificielle, comme tout ce qui touche aux sociétés humaines (ça, c’est de Bernard Stiegler).
Et c’est cette évolution qui a transformé ET le système politique ET les consciences. Ça aussi, c’est du Marx.
En d’autres termes, si le capitalisme s’est imposé, c’est parce qu’il était plus fort que le système féodal qui le précédait (sous nos contrées en tout cas). Non seulement il était plus fort mais en plus (accroche toi à ton dentier), il était meilleur et il a apporté plein de choses. Enfin, maintenant que ce système est là, on ne peut pas l’enlever ni d’un coup de baguette magique, ni avec un plan de transition énergétique ni en lui envoyant les chars du Maréchal Joukov.
Parce que c’est un système, on ne peut pas dire « on enlève un petit bout de ceci, on ajoute un petit bout de cela et c’est réglé ». Parce que c’est un système, il détermine jusqu’à nos modes de vie. J’ai écrit un jour que s’il existait un interrupteur à capitalisme, qu’on pouvait l’éteindre d’un coup, il ne faudrait pas quinze jours avant qu’il y ait des émeutes pour qu’on le rallume et on le rallumerait !
Pour toutes ces raisons, je pense qu’on peut être anti-nucléaire, anti-fasciste ou anti-nazi, mais je ne vois pas le sens qu’aurait d’être anti-capitaliste.
Est-ce à dire que « There Is No Alternative », qu’il faut se résigner et que l’urgence est de créer un compost et un jardin partagés dans son quartier ?
Absolument pas, que du contraire. Le système capitaliste est basé sur la prédation des ressources, des corps et des âmes et la situation est tout bonnement explosive, à court, moyen et long terme. Une alternative est tout bonnement indispensable. Qu’est-ce qu’il y aura là-dedans ? Certainement quelques morceaux d’éco-socialisme, mais je n’ai pas encore vu grand-chose qui me convainc peu ou prou. Pourquoi ? Je me limite à deux raisons (il y en a d’autres).
D’abord que ce que j’ai vu reste complètement attaché au pouvoir d’achat et que le pouvoir d’achat est l’essence (au sens philosophique et comme carburant) du capitalisme. Plus fondamentalement, maintenant que nous savons que nous sommes un petit vaisseau spatial épuisé, il faut définir des priorités, et nous ne sommes nulle part.
Ensuite parce que la construction d’un autre système requiert un dépassement de la situation actuelle en termes de forces productives et donc une appréhension de la technique dans son ensemble. Là aussi, nous ne sommes nulle part : la « gauche » n’a pas le plus petit début de commencement de compréhension – et encore moins de vision politique – quant à ce qu’est la technique et en particulier par rapport à notre milieu technique actuel, qui est celui de la quatrième révolution industrielle.
À une amie qui me demandait d’expliquer en cinq lignes ce que je pensais de la compatibilité entre écologie et capitalisme, j’ai répondu (après avoir pondu mes cinq lignes) que le capitalisme n’est même pas compatible avec lui-même et qu’il allait de toute manière se détruire. Dans ce sens-là, « There Is No Alternative » autre que de chercher autre chose, sans se faire plaisir avec des slogans vides de sens.
En ce qui me concerne, les tables de mortalité me donnent une espérance de vie restante d’environ 31 ans. Je ne compte me consacrer que à ces questions. Tu peux me dire que c’est une discussion de pseudo-intello à la mords moi le nœud si ça te chante : je m’en fiche. Pour ma part, ta réflexion idiote et blessante m’aura au moins servi à coucher par écrit pourquoi je la trouvais idiote et blessante et de cela je te remercie. Cela vaut bien d’aller manger une andouillette grillée.
Je t’embrasse.
Jean-Claude

1 J’ai beaucoup lu et entendu ce mot utilisé de cette manière par des gens qui ne sont pas des amis, à savoir des membres d’ÉCOLO qui, comme toi, n’avaient pas d’arguments à opposer, n’avaient rien compris, ne cherchaient pas à comprendre et se permettaient une posture condescendante sans s’excuser de rien du tout… Je suis certain que tu apprécieras la compagnie !


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Anthropocène: un silence quasi total pour un événement historique

9/3/2016

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Je sais, je sais, il y a la rentrée des classes, la reprise du championnat de foot, la fin des vacances, Trump & Clinton, les Primaires des présidentielles françaises.
Plus significatif, il y a aussi cette semaine deux mille familles qui connaissent l'angoisse du chômage, de la relégation sociale, avec la fermeture de l'usine Caterpillar de Gosselies.
Pourtant, ce lundi 29 août 2016 a eu lieu un événement très peu couvert par les médias alors qu'il est d'ampleur comparable à la disparition des dinosaures, l'invention de la roue ou de l'énergie atomique : la reconnaissance de l'Anthropocène.


Qu'est-ce que c'est ?

Qu'est-ce que ça va changer ?

Pourquoi est-ce si important ?

Qu'est-ce que c'est ?

À la base, l'Anthropocène est une hypothèse : que les activités humaines déterminent une époque de l'histoire de la Terre, soit une époque géologique.
Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ?

Ça veut dire qu'en examinant des restes du passé, un paléontologue peut les associer à une époque géologique, avec ses caractéristiques : composition de l'atmosphère, types d'espèces végétales et animales, bref, la manière dont « les choses se passent » sur Terre.
L'hypothèse de l'Anthropocène revient à dire que ce qui se passe actuellement sur Terre pourrait être analysé par les paléontologues du futur en fonction des traces que nos activités y laissent, exactement de la même manière qu'il est possible de dater des observations, par exemple, de l'époque des dinosaures.
Cette hypothèse devait être confirmée ; c'est ce que vient de faire le 35ème congrès international de géologie réuni depuis le 27 août à Cape Town en Afrique du Sud.

Selon Wikipedia1, « Les activités humaines ayant la capacité de provoquer des modifications importantes de l'environnement terrestre, notamment via :

  • l'agriculture intensive et la surpêche ;
  • la déforestation et les forêts artificielles ;
  • les industries et les transports ;
  • l'évolution de la démographie et l'urbanisation ;
  • la fragmentation écologique ;
  • la réduction ou destruction des habitats ;
  • les pollutions de l'air, des eaux et de la terre ;
  • l'augmentation exponentielle de la consommation et donc de l'extraction des ressources fossiles ou minérales (charbon, pétrole, gaz naturel, uranium, ) ;
  • Le changement de cycle de certains éléments (azote, phosphore, soufre)
  • L'exploitation du nucléaire comme énergie ou comme arme
  • La démographie croissante est parfois mise en cause, mais en réalité, l'immense majorité de l'activité humaine est générée pour un nombre très limité d'individus.2

  • etc. »

Qu'est-ce que ça va changer ?

Cela confère à ce qui n'était qu'une hypothèse une valeur scientifique, au même titre que la théorie de l'évolution.
À partir du moment où l'activité humaine est reconnue comme suffisamment importante pour déterminer notre environnement de manière
globale, cela implique un bouleversement pour ce qu'est l'écologie :


  • L'écologie devient le domaine politique (au sens de l'organisation des activités humaines) surplombant tous les autres ;

  • Ce changement d'échelle requiert de la repenser : repenser son échelle, ses priorités, ses modes d'action.

Si on transpose ce changement de perspective sur le champ social, le bouleversement est semblable à celui qui vit l'action caritative individuelle remplacée par les systèmes de solidarité sociale. Cela n'invalide pas les « petits gestes pour la Planète », ensemble de petites actions individuelles mais ils n'ont de sens qu'enchassés dans la perspective globale que constitue l'Anthropocène. À défaut, ils ne resteront que de petits efforts dérisoires et culpabilisants au sens où «  l'immense majorité de l'activité humaine est générée pour un nombre très limité d'individus ». À dater du 29 août 2016, il faut donc cesser totalement d'opposer ces gestes individuels à une vision politique, soit une vision, pour faire simple3, de « comment nous voulons vivre ensemble ».
L
es constats liés à la reconnaissance de l'Anthropocène sont des problèmes globaux, exigeant une action globale. Ils ont trait aux limites de la Terre4, soit un ensemble de perspectives décourageantes.
La reconnaissance de l'Anthropocène est un point d'appui pour un débat politique sur le caractère
non souhaitable de l'Anthropocène, comme milieu dans laquelle la vie civilisée deviendra, plutôt tôt que tard, impossible5.
U
ne vie non-civilisée serait possible un certain temps et est en train d'être mise en place. Elle consiste :


  • En la mise en place de solutions de géo-ingénierie qui sont déjà envisagées actuellement (par exemple, la dispersion de composés soufrés dans l'atmosphère pour contrer le réchauffement climatique) accélérant l'Anthropocène ;
  • En la poursuite de la financiarisation de l'environnement (air pur, eau potable, assurances et autres produits financiers comme les droits d'émission de CO2)6 ;
  • La création d'ilots protégés, de plus en plus restreints réservés à une oligarchie (financière) tels que déjà envisagés par certains milliardaires de la Silicon Valley.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que cela libère l'enthousiasme.
La reconnaissance de l'Anthropocène est un événement scientifique. Cela permet donc de proposer des pistes pour notre futur, donc pour le futur de notre environnement, sur la base de la raison.
C'e
st donc une nouvelle enthousiasmante au sens où elle est un point d'appui pour reprendre notre destin en main et en particulier proposer des alternatives à un modèle de société qui court à notre perte.
Comme dit plus haut, cela implique un changement d'échelle pour l'écologie, changement d'échelle en termes de mesures, d'ampleur des propositions et en termes d'horizon temporel : à très court terme pour contrer des initiatives néfastes et proposer des alternatives et à très long terme, en particulier bien au-delà de toute échéance électorale.
L'événement scientifique appelle une lecture politique de l'Anthropocène.
L'Anthropocène est un entropocène, soit une ère déterminée par l'Entropie, que l'on peut décrire sommairement comme une augmentation irrémédiable du désordre7. La source de la propagation de ce désordre est l'automatisation résultant de la propagation des technologies numériques telle qu'elle se présente à nous, alors qu'elle peut et doit être utilisée à des fins positives. Le Manifeste Accélérationniste8 propose des pistes intéressantes de ré-appropriation des technologies numériques. Il est surplombé en ampleur et en variété par l’œuvre du philosophe Bernard Stiegler, qui met en avant la nécessité de développer une économie « néguentropique » de la contribution9. Ces travaux mettent en évidence la prédation des techniques numériques par un capitalisme absolu (au sens où il y eut des monarchies absolues) qui saccage sans limite l'ensemble de nos pratiques, jusque et y compris notre capacité à penser et à panser.
En ce sens, l
'Anthropocène est aussi un capitalocène, soit une ère durant laquelle notre environnement est déterminé par le capitalisme absolu.
Dans ces deux sens,
le drame social que constitue la fermeture de Caterpillar-Gosselies est un événement de l'Anthropocène.
U
ne faute énorme consisterait à considérer l'Anthropocène comme une succession d'erreurs et d'errements. Cela revient à considérer l'ensemble de la population comme également responsable, alors que les comportements responsables de l'Anthropocène ne sont le fait que d'une partie limitée de celle-ci10. Cela revient à nier l'ensemble des décisions politiques qui y ont conduit, par exemple la démolition du système de tramways aux États-Unis dans les années 1920 pour permettre l'avènement de l'automobile dont personne ne voulait ou l'arrêt de l'installation d'éoliennes ou de chauffe-eau solaires aux États-Unis toujours, dans les années 1930 à 1950, sous la pression des lobbies automobile et énergétique11.


Une conclusion ?

La reconnaissance de l'Anthropocène comme fait scientifique et non comme simple hypothèse n'est même pas le début de quelque chose : c'est juste la fin du début de quelque chose. Ce « quelque chose » prend ses racines dans la capacité et le besoin (indissociables) que nous avons, nous « êtres pensants », de prolonger nos organes physiques par des organes artificiels et sociaux12. Ces prolongations sont aussi bien le livre que notre capacité à nous soigner, de la médecine à la sécurité sociale, mais aussi l'énergie et l'arme atomiques ou un transhumanisme qui vise à ordonner nos vies en exploitant les traces numériques qu'il nous ordonne de laisser.
Pourquoi est-ce un début ?
Parce que, jusqu'au 29 août 2016, il était possible de se mettre la tête dans le sable à la façon dont un enfant, un mineur d'âge, ne veut ni ne peut voir les conséquences de ce qu'il a commis. Le 29 août 2016 coupe la possibilité de l'innocence d'une telle attitude.
Sortir
de ce début, c'est vouloir sortir de l'âge de la minorité et vouloir13 accéder à celui de la majorité, regarder les choses en face avec courage et dignité.
L
e travail à accomplir est immense, mais nous ne sommes pas nus : il existe des outils conceptuels à exploiter. L'organologie générale en est un14. Il faut également inventer une économie qui tienne compte de notre production d'entropie : « l'économie doit devenir une science, un savoir, une fonction, capable de fournir des échelles de valeur qualitatives et quantitatives, pour augmenter la basse entropie et diminuer la haute entropie ».
Q
ui parlait ainsi ?
Nicholas Georgescu-Roegen, cité par Bernard Stiegler15.
Ces outils doivent être exploités
et traduits en pratiques concrètes.
Cette tâche colossale, que nous devons accomplir avec courage et dignité, nous l'accompliront
à la fois avec l'énergie du désespoir des résistants du ghetto juif de Varsovie en avril 1943, parce qu'il n'y a de toute manière plus rien d'autre à faire, et avec l'énergie créatrice sublime d'un Jean-Sébastien Bach écrivant « La passion selon Saint Matthieu », parce que ce « plus rien d'autre à faire » ne peut être accompli qu'avec enthousiasme.


1https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropoc%C3%A8ne
2C'est moi qui souligne ; j'y reviens
3De manière plus rigoureuse, selon un commentaire que m'a aimablement fait Bernard Stiegler, « la politique est ce qui consiste à prescrire les rapports entre individus psychiques et individus collectifs (par exemple, les systèmes sociaux) à différentes échelles de territoire, dont l'échelle nationale, qui est une des échelles des individus collectifs à laquelle les autres échelles se rapportent ». Cette échelle nationale n'a rien à voir avec celle des « nationalistes déclarés » (FN, UKIP, NVA,...) : elle se définit comme étant précisément celle à laquelle les autres se rapportent et non in abstracto, d'une manière fantasmée propice à la mise en évidence des boucs-émissaires qui font le miel des « nationalistes déclarés » qui usurpent et salissent la langue.
4Émissions de gaz à effet de serre, destruction de la biodiversité, pollution atmosphérique, destruction de l'ozone qui nous protège des rayonnements ultra-violets, acidification des océans, utilisation d'eau non salée, utilisation des sols,...
5Version simplifiée de la perspective soutenue par le philosophe Bernard Stiegler, à qui je dois cette interprétation.
6« La nature est un champ de bataille », de Razmig Keucheyan, La Découverte 2014, donne des détails à ce sujet et à bien d'autres. Voir http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_nature_est_un_champ_de_bataille-9782355220586.html
7L'entropie est un concept de thermodynamique introduit par le physicien Rudolf Clausius en 1865. Ce concept fut transposé à l'économie et d'une manière plus générale à la « production de nos organes artificiels » par l'économiste Nicholas Georgescu-Roegen. Voir plus bas.
8Voir http://www.multitudes.net/manifeste-accelerationniste/
9« La société automatique – 1. L'avenir du travail », Fayard 2015 - http://www.fayard.fr/la-societe-automatique-9782213685656 et « Dans la disruption – Comment ne pas devenir fou ? », Les Liens qui Libèrent 2016 - http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Dans_la_disruption-484-1-1-0-1.html
1010 % de la population mondiale selon Naomi Klein dans « Tout peut changer – Capitalisme et réchauffement climatique », Actes Sud 2015, http://www.actes-sud.fr/naomi-klein-tout-peut-changer
11Voir « L'événement anthropocène », de Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil, Seuil 2013 - http://www.seuil.com/ouvrage/l-evenement-anthropocene-jean-baptiste-fressoz/9782021135008
12Les « êtres humains » ne sont pas les seuls à faire cela : les premiers à l'avoir fait sont des hominidés dont nous ne descendons pas ! En cela que nous ne pouvons nous limiter à « l'Humain ».
13« Vouloir » parce que cela ne peut se faire que par intermittence et non de manière constante, sauf à devenir fou.
14Voir http://arsindustrialis.org/organologie-g%C3%A9n%C3%A9rale
15Séminaire « Pharmakon 2016 - Transvaluer Nietzeche ». Bernard Stiegler m'a suggéré de faire référence à Georgescu-Roegen et de « revendiquer la volonté de voir se faire un travail scientifique » à partir de l’œuvre de Georgescu-Roegen. C'est à partir de là que j'ai écrit cette conclusion, inspirée librement et en totalité de ses propres travaux, à l'exception de la dernière phrase.






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L'écologie et la gauche: de la confusion à la concordance

12/7/2014

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PhotoAndré Gorz - http://www.philosophie-tv.com/andre-gorz-et-les-metamorphoses-du-travail/
Entre écologie politique et gauche, la confusion a longtemps prévalu. Les raisons en sont partagées. Certains héritiers de la gauche traditionnelle, productiviste n'ont toujours pas intégré la dimension sociale de l'écologie. D'une part, les premières victimes écologiques sont systématiquement les plus démunis. D'autre part, si l'écologie peut être vue comme un impératif, avec tout ce que cela suppose d'autoritarisme, elle peut également être vécue comme un changement de paradigme enthousiasmant et accessible, en dépassant les implications humaines du productivisme : conditions de travail harassantes, course au pouvoir d'achat, à la performance, à des vies perdues à la gagner (sa vie).
Les Verts pour leur part ne sont pas toujours au clair dans leur positionnement par rapport aux questions sociales, aux questions de domination et au Capital. Quarante ans après la publication du texte d'André Gorz, « Leur écologie et la nôtre », nombreux restent les écologistes aveuglés par le mirage du Capitalisme Vert. En outre, nombreux restent les militants et dirigeants écologistes qui n'ont guère envie de frayer avec les pue-la-sueur sortant des usines ou faisant la file dans les agences d'intérim.
Enfin, la gauche a surtout un problème avec elle-même. On ne fustigera jamais assez l'avènement du néo-libéralisme mais oublier que, sous nos contrées, il fut et est toujours mis en œuvre par des partis se réclamant de la gauche. Cela concourt à mettre en position délicate les écologistes qui assument pleinement leur positionnement à gauche : quelle gauche ? Celle de Manuel Valls et François Hollande ou celle d'Olivier Besancenot ? Celle d'Elio Di Rupo ou celle de Raoul Hedebouw ?
Choisir entre une gauche de gouvernement qui n'est plus de gauche (et n'est plus de gouvernement en Belgique ; cela pourrait arriver en France...) et une gauche qui se fait plaisir en assénant des slogans n'est pas des plus enthousiasmant et il est difficile d'imaginer les uns et les autres partager grand chose comme combats futurs.
L'économiste-philosophe Frédéric Lordon, dans son article « La gauche ne peut pas mourir », propose une définition élégante de la gauche : la lutte contre la souveraineté du capital. Cette définition est inclusive, précise et pragmatique : elle permet une démarcation claire et autorise des interprétations riches.
Elle est également très intéressante pour les écologistes en ce sens qu'elle inclut automatiquement l'écologie politique en son sein. On peut évidemment contester l'existence actuelle de la souveraineté du capital, mais ce négationnisme serait au moins équivalent en ampleur à celui que d'aucuns réservent au réchauffement climatique. Or un écologiste ne peut,
par définition, pas nier les faits. On peut s'illusionner quant à la possibilité d'un capital souverain qui serait écologiste pour autre chose que sa propre survivance. Il n'est de voir la brutalité du capital lorsqu'il licencie, ferme des usines ou presse ses salariés pour comprendre qu'il n'y a pas plus de capital délibérément écologiste que de beurre en branche.
Dans l'autre sens, contester la souveraineté du capital est
intrinsèquement écologiste. Ce n'était peut-être pas vrai il y a 25 ans mais cela l'est en 2014. Pour ne prendre qu'un exemple, le cas des magasins « low cost » alimentaires est particulièrement édifiant à cet égard. Le « low cost » est le contraire de ce qu'un homme ou une femme de gauche peut souhaiter.
En effet, le « low cost » est la mise sur le marché des investissements financier du business de la pauvreté, de la précarité. Il n'existe
que parce qu'il y a des exploités, directs (travailleurs à bas revenus) ou indirects (l'armée de réserve du capital : chômeurs et allocataires sociaux dont la fonction sociale est que ceux qui se situent économiquement juste au dessus se tiennent bien tranquilles). La condition première d'existence du « low cost » est la précarité économique. Même si la clientèle du « low cost » s'étend bien au delà des classes dominées, elles en constituent son « fonds de commerce ». Lutter à gauche au sens classique du terme, c'est donc lutter pour que les « low cost » n'aient plus lieu d'être. Cette lutte est également intrinsèquement écologiste :
  • la course à la baisse du prix de vente se fait systématiquement au détriment de la qualité ; on m'objectera sans avoir tout à fait tort que les magasins « low cost » proposent également des produits de qualité, mais leur « business model » est basé sur la possibilité d'acheter de la nourriture au prix le plus bas possible ;
  • tout, dans un magasin « low cost », est conçu pour que le salarié qui y travaille n'ait aucune question à se poser quant à ce qu'il y a à faire : le magasin est entièrement optimisé pour que chaque chose ait sa place et pour que chacun puisse et doive y remplir toutes les tâches ; comment rêver, comment cauchemarder plutôt, plus grande dépossession des savoir-faire, plus grande optimisation de la prolétarisation, c'est-à-dire l'instrumentalisation de l'Humain comme élément d'un processus conçu ex nihilo ?
  • le « low cost », plus encore que les autres opérateurs de la grande distribution, est basé sur la livraison en flux tendu, livraison qui n'est possible que si l'environnement du magasin dispose d'un réseau routier fluide.
Lutter contre la souveraineté du capital, c'est en particulier lutter pour que chacun ait accès à une vie décente, conforme à la dignité humaine. Dans « leur écologie et la nôtre », André Gorz anticipe le capitalisme vert. En 1974, il ne peut pas voir venir la possibilité de fournir le rendement exigé sur le capital par les marchés financiers en considérant les personnes dont le « pouvoir d'achat » (
la pire « bonne idée » que la gauche ait jamais eue; discuter ce sujet plus avant nous entraînerait trop loin) est faible comme un business à part entière. Quarante ans plus tard, il n'y a plus de doute sur la question : reprendre les thèmes classiques de la gauche implique automatiquement lutter pour une vie digne pour chacun, en particulier du point de vue de la qualité de la vie, donc de l'accès à l'écologie.
Pendant la même période que gauche et écologie se regardaient en chien de faïence, la notion même de gauche telle que traditionnellement spécifiée se délitait. L'article salutaire de Frédéric Lordon, outre qu'il explique en quoi la possibilité de la mort de la gauche est absconse, propose une définition de la gauche ouverte, modeste d'un certain point de vue mais exigeante par rapport à la tentation de se faire plaisir en scandant des slogans sans fondements. Il permet également de remettre les pendules à l'heure pour une écologie politique qui a goûté aux délices du pouvoir et a été tentée de confondre compromis et compromission, en Belgique comme en France.
Y remédier aboutit nécessairement à établir une équivalence entre gauche et écologie politique. Le chemin est certes étroit et périlleux. A minima, si ce chemin devait mener à d'autres défaites, resterait la dignité d'avoir essayé, ce qui, par les temps qui courent, serait déjà énorme.

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Pourquoi (et pour qui) voter si "La montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable"?

4/27/2014

3 Commentaires

 
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L’inénarrable Olivier Mouton nous avertit dans un article de ce phare de la pensée contemporaine belge1  qu'est le Vif/L'Express: « la montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable ». Avant de donner mon avis sur cette question d'importance, je propose trois lectures de cette sentence définitive : le premier degré du café du commerce, une analyse littérale et une lecture démocratique.
Commençons par le premier degré. Asseyez-vous au Café du Commerce, mesdames, messieurs, commandez-vous un verre et réfléchissons à ce que le nommé2 Monsieur Mouton veut nous dire. Sans doute y a t-il des partis « sérieux », et, si nous ne les aimons pas beaucoup, on sait ce qu'on a, on ne sait pas ce qu'on aura, et regardez comment ils ont gouverné par ces temps difficiles, après cinq cents et quelques jours, sans trop se disputer, en expulsant quelques afghans par ci, en démantelant un état fédéral par là, en rallongeant l'âge de départ à la pension sans trop de bordel, mais que voulez-vous, c'est nécessaire, avec l'Europe, les marchés, les agences de notation, en décidant de flanquer 55.000 chômeurs au CPAS puis en négociant subtilement une reculade, non, non, non, nous avons aussi du cœur, ce sera seulement la moitié, il y en a un peu, plus, je vous le laisse, gratos, et puis que voulez-vous, c'est ça ou c'est la NVA, alors je sais, ce n'est pas enthousiasmant et il n'y en aura guère pour se lever debout dans leur fauteuil le soir du 25 mai, mais bon, déjà qu'on a eu un hiver pas trop pourri, alors c'est pas si mal, et puis les Diables Rouges partent avec tous nos espoirs au Brésil, on a tout de même l'une ou l'autre petite raison de ne pas tous se pendre en même temps, et je peux faire des phrases encore plus longues, mais, je sens bien que je vous lasse, bon, qu'est-ce que vous reprenez ?
Littéralement, qu'est-ce que ça veut dire « la montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable » ?
On peut se demander ce qu'est un « petit parti ». Je croyais que, le 25 mai à 8 heures du matin, les urnes seraient vides, pas de grand, pas de petit, tous égaux, le peuple qui choisit, la glorieuse incertitude du sport, pardon, des élections... Mais passons.
Si un petit parti monte, jusqu'où doit-il monter avant de ne plus être un petit parti ? Et si un petit parti devient grand, est-ce que ça va aussi rendre le pays ingouvernable ou bien est-ce que ce sont ceux qui étaient grands et qui sont devenus petits qui sont priés de plus trop la ramener ? Et qui a vu que ce pays est gouvernable ?
D'un point de vue démocratique... Je suis désolé de rappeler que les élections, c'est le moment où on rebat les cartes, où on choisit, sur base du passé, du présent, du futur. Apparemment, ça ne semble pas trop être à l'ordre du jour : il faut être RÉ-A-LISTES3 ! Il y aurait donc, d'un côté, ceux qui savent comment on fait pour diriger un pays et puis les autres et le pire travers de la démocratie serait de confondre : on peut protester, se plaindre, un peu mais pas trop. Les éditorialistes, les journalistes plus ou moins grégaires4 nous resservent cette vieille soupe rance depuis l'émergence de l'écologie politique il y a une vingtaine d'années : il y a les partis RES-PON-SABLES d'un côté et puis il y a les autres. Oui, vous pouvez démocratiquement choisir les autres mais pas trop, pas tous à la fois. En gros, choisissez le PS ou le MR selon que vous voulez un peu plus de ceci ou un peu moins de cela, choisissez le CDH si vous ne pensez rien et ne venez pas nous rabâcher les oreilles avec une prétendue « nécessité de changer de modèle de société » !
En conclusion, le plus terrible est qu'il soit possible d'asséner de tels monceaux de bêtise sans honte, sur le mode « plus ça va mal, plus il ne faut toucher à rien ».
La bêtise (dont le titre « La montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable » est un sommet qui, à n'en pas douter, sera prochainement dépassé) est la ressource la plus facile à créer, la plus facile à partager et la plus contagieuse.
Ça tombe bien : ce sont précisément les partis qui exploitent le plus cette propagation qui, selon les enquêtes d'opinion, ont le vent en poupe. À ma droite, le PP, qui, je le sens bien, ne va pas tarder à nous servir du « Travail, famille patrie ». À ma droite toujours, Debout les Belges et son poly-inculpé Laurent Louis, exemple vivant de l'efficacité de la bêtise industrialisée.
À ma gauche, le PTB qui réussit le tour de force de se positionner simultanément comme suffisamment gentil pour ne pas trop inquiéter, comme assez révolutionnaire pour capter une légitime colère tout en mettant en avant des mesures petite-bourgeoises comme la réduction de la TVA sur l'énergie y compris pour les gros consommateurs et la poursuite de l'utilisation intensive de la sacro-sainte bagnole en ayant un programme en la matière qui est étonnamment compatible avec celui du MR.
Si le pays devait devenir ingouvernable, serait-ce parce que « le peuple » se prépare à mal voter ou serait-ce parce qu'il est de plus en plus difficile de tenir un débat d'idées, d'appréhender le monde dans ses complexités, économiques, sociales et écologiques et d'avoir l'espace pour expliquer un programme politique en dehors du vacarme ?

1Que dis-je : dans ce phare intemporel de la pensée universelle...
2Celui qui a dit « le bien nommé » sort...
3« Le réalisme, c'est la bonne conscience des salauds ». Je l'ai piqué dans « UTOPIA – After the walls », que j'évoquais ici
4Vous avez vu, je n'ai pas dit « moutonniers » ?


3 Commentaires

    Jean-Claude Englebert

    À côté du blog "général", un blog consacré à l'écologie, à la gauche, au marxisme etc...

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