La COP 26 s’est ouverte ce 1er novembre 2021 à Glasgow. Elle est importante puisqu’elle est censée assurer un suivi des objectifs de la COP 21 de Paris. Côté négatif, personne ne s’attend réellement à de bonnes nouvelles. Côté positif, j’ai le sentiment qu’une part grandissante de la population se pose des questions, a minima. Comment s’en étonner alors que les manifestations des conséquences du réchauffement climatique se font toujours plus présentes et que les études scientifiques compilées par le GIEC sont de plus en plus alarmistes et que la comparaison de ces études dans le temps montre que les prévisions passées les plus précises étaient aussi les plus pessimistes ?
Côté positif également, des jeunes se mobilisent de façon de plus en plus visible et de façon suffisamment pertinente pour être l’objet de réactions (terme choisi à dessein) de conservatrices et conservateurs dont l’objectif premier semble être de leur cracher à la figure leur mépris tant pour leur combat que pour leur futur.
Je vais tenter d’être aussi bref que possible pour poser quelques balises quant à ce qu’il est possible d’attendre de la COP 26 et d’éventuelles suivantes, posant ainsi des éléments de réponse à ces jeunes, symbolisés par la figure de la jeune militante suédoise Greta Thunberg.
Vivre dans le surendettement
Lorsque j’avais 20 ans, j’ai fait partie d’un ménage vivant dans le surendettement, et j’ai assumé cette situation pendant une dizaine d’années. Les ressources de ce ménage étaient modestes, injustement modestes, mais les explications du surendettement n’étaient pas uniquement là : elles étaient de deux ordres.
Premièrement, l’affrontement entre une logique du « droit à » et une logique des moyens. Selon la logique du « droit à », on part des envies, des standards de consommation. Selon la logique des moyens, on part des rentrées, on soustrait les dépenses incompressibles et on contrôle le reste, d’une façon d’autant plus stricte que ce reste est faible.
Deuxièmement, le poids du passé, c’est-à-dire le fait qu’une partie importante des dépenses incompressibles consiste en des dettes passées à rembourser assez rapidement.
Ces deux ordres d’explications ne sont pas indépendants l’un de l’autre : partant de la logique du « droit à », il est assez facile de se lamenter sur l’injustice de devoir rembourser des dettes plus ou moins anciennes, correspondant à des évènements passés plus ou moins malchanceux.
Sortir de ce surendettement-là a exigé à la fois une grande discipline et d’affronter le passé sans pleurnicher. Cela laisse peu de place à la légèreté et implique d’aller chercher ses satisfactions ailleurs que dans la consommation.
Surendettement de l’effet de serre
L’effet de serre dont est issu le réchauffement climatique est principalement dû aux combustibles fossiles, dont le qualificatif « fossile » indique que ces combustibles ont emmagasiné de grandes quantités de carbone et que leur combustion renvoie ce carbone dans l’atmosphère sous la forme de CO2. Les combustibles fossiles ne sont pas la seule cause du réchauffement climatique : s’y ajoutent les émissions d’autres gaz à effet de serre, comme le méthane, et la diminution de la captation du CO2 par les végétaux et par les océans, ou encore les émissions liées à certaines réactions chimiques, comme la production du ciment.
Mais les émissions de CO2 sont premières en volume. De plus, ce CO2, gaz par ailleurs non toxique, est assez stable : il ne réagit pas avec les autres composants atmosphériques et ne disparaît de l’atmosphère que par absorption (par les océans ou par les végétaux). Et, depuis la révolution industrielle, ces émissions ont augmenté la concentration de CO2 dans l’atmosphère de près de 50 %, malgré les absorptions mentionnées.
Donc, le problème du réchauffement climatique peut, en première approximation, être représenté comme un problème de surendettement : pour ne pas augmenter la température moyenne à la surface de la planète de plus de 1,5°C (pour éviter la catastrophe quasi immédiate pour de nombreux États insulaires) ou de plus de 2°C (pour éviter des catastrophes plus importantes en taille et en nombre), et bien il nous reste un certain « budget » d’émission de CO2 : de façon presque mécanique, si on le dépasse, alors on va directement dans le mur.
C’est aussi simple que ça ? Oui, c’est aussi simple que ça.
En fait, non, c’est plus compliqué que ça, pour deux raisons.
D’abord, le « budget », le « droit » d’émettre du CO2 est inconnu. Mais exprimé en termes d’émissions annuelles actuelles, il s’agit d’un petit nombre : dix ans selon certaines estimations, beaucoup moins selon d’autres (en fait, selon certains modèles respectables, ce budget serait maintenant à peu près à zéro).
Ensuite, que faire si ce budget est dépassé ? S’en fiche ? Non : limiter le plus possible les émissions, puisqu’au plus loin on ira en termes de dépassement, au plus les évènements catastrophiques vont augmenter en nombre et en ampleur.
Évidemment, pour savoir où taper le plus rapidement possible, il faudrait se poser la question de savoir :
• qui « bouffe » actuellement ce budget ;
• qui l’a « bouffé » par le passé.
Nous reviendrons là-dessus plus loin. Pour l’instant, revenons à notre COP 26 et au processus de COP en général.
Les COP pour gérer le surendettement ?
Sur base de ce qui précède, on pourrait se dire que les COP sont destinées à gérer au plus près le surendettement. En fait, ce n’est absolument pas le cas. Pour que ce soit le cas, il faudrait que la base des COP soit un objectif global d’émission de CO2 à ne dépasser sous aucun prétexte (avant, évidemment, de s’écharper sur la manière d’y arriver). Mais ça ne fonctionne pas comme ça et ça n’a jamais fonctionné comme ça.
Historiquement, à chaque fois qu’il a été question de fixer des objectifs globaux et contraignants, les COP ont volé en éclat. Ça a été le cas lors de la signature du protocole de Kyoto lors de la COP 3 en 1997. Ça a été le cas lors de la COP 15 en 2009 à Copenhague et ça a été le cas lors de la COP 21, à Paris en 2015 : les accords n’ont jamais été obtenus avant tout qu’au prix de l’abandon de la contrainte, donc de la logique du surendettement. Le pompon a été décroché par la COP 21, basée sur des « contributions volontaires déterminées sur base nationale » : on demande ce que chacun est prêt à économiser, on se met en rond puis on applaudit, en promettant sans rire de limiter le réchauffement à 2°C et de le garder « aussi proche que possible » de 1,5°C.
Alors, vous allez me dire que ce n’est pas possible de réunir tant de gens pendant si longtemps aussi souvent pour arriver à un résultat pareil.
En fait, les discussions portent avant tout sur les manières de s’adapter aux conséquences du réchauffement et sur les manières de faire rentrer des carrés dans des ronds sur base de différents moyens visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces moyens sont de différents types. Techniques d’abord : production d’énergie renouvelable, économies d’énergie, stockage du CO2, bref toute une série d’opportunités d’affaire soumises à des questions comme : les droits de propriété intellectuelle, les rapports de force géopolitiques concernant la mise en œuvre de ces solutions, etc. De compensation ensuite. L’idée, appliquée à plusieurs reprises, est ici qu’un émetteur de CO2 s’engage dans un mécanisme de compensation de ses émissions, classiquement en prenant en charge ce qu’on appelle des « puits de carbone », typiquement des forêts. Le fait de savoir si ces forêts correspondent vraiment à de nouvelles captations de carbone ou si elles ont des conséquences négatives pour les populations riveraines n’est pas à l’ordre du jour. Moyens financiers enfin, sous la forme d’instruments financiers visant à donner un prix aux émissions de CO2, dans l’espoir que ces prix orienteront la consommation vers les productions les plus sobres en émissions.
Bref, en résumé, là où on pourrait s’attendre que la question des émissions de CO2 soit gérée comme on gère un surendettement, en commençant donc par se poser la question de savoir dans quelle mesure il faut réduire la voilure des dépenses (lire : les émissions de CO2), cette question est gérée sur base de manières de faire du business.
Est-ce que cette manière de faire traduit une stupidité particulière parmi les participants aux COP ?
Absolument pas. Simplement, il s’agit des règles du jeu des COP, et ces règles sont écrites : pas touche aux modes de vie, aux modes de consommation, c’est rigoureusement interdit par la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC). Les seuls outils disponibles aux COP sont des outils qui s’insèrent dans le système économique.
D’où vient la dette ?
Nous nous posions plus haut la question de savoir qui avait consommé le budget CO2 passé et qui le consommait actuellement. C’est évidemment fondamental, même si on réussit à formuler la solution au réchauffement climatique comme un problème de surendettement. Lorsque j’ai formulé mon problème personnel, il y avait une seule gestion de rentrées et de sorties. Mais ici, il y a autant de flux de rentrées et de sorties que de pays signataires des COP. Donc, pour savoir qui prendra quelle part de la charge, il faut répondre à cette question.
Pour le passé, c’est simple : ce sont les pays riches, industrialisés de longue date, essentiellement les États-Unis, la Grande Bretagne et les pays de l’Union Européenne. C’est évidemment très important quand il s’agit de savoir qui pourra encore « taper » dans le budget futur. Problème : les pays moins riches, qui n’ont guère de responsabilités dans les émissions passées sont aussi ceux qui n’ont guère de puissance pour imposer cette forme de justice.
Et pour le présent ?
Le plus gros émetteur est connu : c’est la Chine. Le second plus gros émetteur est les États-Unis, quatre fois moins peuplés cependant. Les pays européens sont relativement sages, à l’exception de gros producteurs de charbon, comme la Pologne. Comment cela se fait-il ? Et bien, une des raisons les plus importantes est que la production industrielle a été délocalisée. Et là, on sent bien où est le problème. Pour prendre un exemple concret, la disparition de la métallurgie belge n’a pas causé de diminution de la consommation d’acier (voitures par exemple en Belgique). Et les émissions liées à la production d’acier ? Et bien elles sont importées, tout simplement : émises dans un pays du Sud pour des biens utilisés au Nord.
Évidemment, les COP devraient tenir compte de ces importations d’émissions. Problème : c’est interdit. Donc, ce n’est pas fait. Point. Circulez, il n’y a rien à voir… Aucune chance qu’une solution juste émerge des COP.
Synthèse
Nous avons vu jusqu’ici que les COP ne sont pas conçues pour répondre à l’enjeu climatique.
Complot ? Méchanceté foncière ? Volonté de nuire ?
Non, rien de tout ça. Simplement, une question d’hypothèse de travail et de priorités.
Lorsque je formule le problème du réchauffement climatique comme un problème de surendettement, je formule implicitement l’hypothèse qu’il n’existe aucune échappatoire et que ne pas résoudre ce problème empêche tout le reste. Mais c’est une hypothèse assez forte. Elle est certes à la hauteur de l’enjeu et à la hauteur des revendications de Greta Thunberg et de ses jeunes ami.e.s ou encore des petits États insulaires menacés de submersion, mais ce n’est malheureusement pas celle sous-jacente aux COP.
L’hypothèse sous-jacente aux COP est qu’il est interdit de toucher au modèle économique actuel. Ce modèle n’a même pas besoin d’être formulé explicitement. Il suffit simplement que toutes les rubriques des COP convergent vers le même objectif : la poursuite du processus d’accumulation capitaliste, critère auxquels répondent les outils à disposition des COP : solutions techniques, compensation, instruments financiers.
Conclusion
C’est peu dire que les jeunes qui manifestent, symbolisés par Greta Thurnberg, sont mal barrés, au même titre d’ailleurs que l’intégralité des plus démunis de par le monde. Les deux catégories se recoupent partiellement : les pays riches sont à la fois ceux qui ont le pouvoir et dont les populations sont les plus vieilles. Ces deux raisons se croisent : celles et ceux qui auront le moins à subir les conséquences du réchauffement climatique sont aussi celles et ceux qui le vivront le moins longtemps et qui auront le plus de possibilités de se prémunir de ces conséquences. Mais jeunes et pauvres ne se recouvrent pas totalement : à échéance donnée, les démunis seront les plus exposés, partout dans le monde.
Passons rapidement sur la manière dont ces conséquences peuvent être anticipées. Il s’agit moins d’un chaos soudain qui frapperait une partie importante des habitant.e.s de la planète que d’une succession de conséquences de plus en plus graves, disséminées, difficiles à relier les unes aux autres et augmentant les tensions d’ordres divers : migrations ou difficultés d’accéder aux ressources de base.
La voie offerte par les COP est celle du solutionnisme et de la « transition ». Tordons d’un même geste le cou de ces deux canards. Le but du solutionnisme, nous l’avons vu, est de « tout changer pour que rien ne change », dans le cadre d’une « prospérité » qui ne sera ni partagée ni porteuse d’un espoir de sortie de crise. Ce solutionnisme fait abondamment référence à la notion de « transition » énergétique, soit le passage des énergies fossiles à des sources d’énergie non émettrices de CO2. Problème : de transition, il n’y a jusqu’ici point eu. Certes, la production d’énergie renouvelable n’a jamais été aussi importante qu’actuellement, mais il en va de même pour la production d’énergie à partir de gaz, de pétrole et de charbon. En gros, la transition du solutionnisme consiste à tenter de remplir une baignoire avec un tout petit robinet alors que la fuite est béante. Si transition il doit y avoir (et il doit y en avoir une!), ce sera dans le cadre d’une diminution générale et drastique de la consommation d’énergie, diminution radicalement incompatible avec le solutionnisme des COP.
Que faire ?
Nous voyons bien que l’enjeu du réchauffement climatique n’est pas une simple dispute à propos des solutions ni une question de mauvaise volonté ou de mauvaise foi. C’est tout simplement une question d’intérêts divergents qui s’affrontent, et dans cet affrontement, celles et ceux qui souhaitent « tout changer pour que rien ne change » font énormément de bruit, occupent tout l’espace de discussion, même. Dans une telle situation, la seule voie de salut, la seule voie non pas pour obtenir une solution mais simplement pour pouvoir commencer à travailler sérieusement à une solution, c’est de réduire ses adversaires au silence.
Cette affirmation peut paraître un peu brutale, mais sa brutalité dépendra, en dernière analyse, non pas de la détermination de celles et ceux qui ont un intérêt à une sortie de crise mais bien de l’acharnement de celles et ceux qui tiennent actuellement le haut du pavé, et ce n’est que de manière indirecte que la détermination jouera un rôle. Et cette détermination devra servir avant tout à briser les mécanismes d’accumulation capitaliste qui ont un intérêt objectif à ce que perdure l’ordre actuel des priorités, d’abord l’économie, ensuite le climat.
Exprimer cette détermination commence par une émancipation. Arrêtez de vous adresser aux puissant.e.s en leur demandant des solutions et des actes : ils ne le feront pas, ils n’y ont aucun intérêt, ni de classe, ni de génération. Réduire au silence, c’est d’abord ne plus écouter ses ennemis.