Alors que je mettais en cause sur un zéro social le bien-fondé d’être « anti-capitaliste », tu m’as répondu « J’en ai ras le cul de ces débats intellectuels à la mord (sic) moi le nœud. Aussi inutile qu’improductif, sorry1 mon Ami. ».
Je te laisse la profondeur de tes arguments, l’utilité et la productivité de ton propos.
Nous nous connaissons depuis 35 ans, époque à laquelle nous étions tous les deux membres de la Jeunesse Communiste. C’est au nom de cette appartenance que je te réponds et au nom de notre amitié aussi.
D’abord parce que nous en avons connu des slogans ronfleurs : nous allions tout casser et on allait voir ce qu’on allait voir ! On a vu…
Moi, ce que je vois, c’est que la condition pour qu’un projet politique soit adopté, donc soit accepté et porté, revendiqué, c’est qu’il repose sur du concret, un avenir dans lequel on puisse se projeter. Pour être… concret, je prends un exemple. Je suis anti-nucléaire : je pense qu’il faut supprimer le plus rapidement possible toute trace d’utilisation de l’énergie nucléaire et des armes nucléaires et je pense qu’il aurait mieux valu ne jamais y avoir recours. Mais si je veux convaincre, je dois au moins autant expliquer ce que je veux que ce que je ne veux pas : volume d’utilisation d’énergie, sources, lutte contre les gaspillages etc. C’est utile d’être anti-nucléaire pour s’opposer à la construction d’une nouvelle centrale, à la prolongation de la vie des centrales existantes, bref, pour faire de l’activisme mais pas pour montrer combien nous serions plus heureux sans recours au nucléaire civil et militaire.
Là, on pourrait croire qu’on va être d’accord toi et moi : ben voilà, on fait de l’activisme, on mobilise et on élimine le capitalisme !
Je ne suis pas d’accord pour une raison que je trouve importante. Combattre et vouloir remplacer un système de société sans en avoir compris les ressorts, c’est l’échec assuré. D’abord parce que on a toute les chances de commettre les mêmes erreurs (nos « amis » du « socialisme réellement existant » ne s’en sont d’ailleurs pas privés). Ensuite parce que cela empêche de reconnaître ses forces et donc de voir ce à quoi il faut faire gaffe quand on met autre chose en place.
Comprendre, essayer de comprendre, est à la fois la première et la dernière résistance : la première dans l’ordre chronologique et la dernière parce que si on y renonce, alors tout est vraiment perdu.
Et ce que moi j’observe, c’est précisément l’abandon en rase campagne de la démarche de compréhension de ce qui se joue. Pire, par tes propos, tu encourages à ne pas même simplement vouloir réfléchir en sachant pertinemment qu’ils sont partagés par beaucoup puisque c’est l’époque des petites phrases et des slogans et je trouve cela consternant et proprement scandaleux. J’en ai honte.
Alors partant de là, qu’y a t-il à comprendre ?
Et bien, espèce de tête de nœud, tout d’abord que, contrairement à l’utilisation civile et militaire du nucléaire ou contrairement, par exemple, à l’avènement du fascisme ou du nazisme, l’avènement du capitalisme n’est pas le résultat d’un rapport de force politique, d’une décision qui se serait prise à un moment donné : c’est le résultat d’une évolution sociale des forces productives. Qui dit cela ? Karl Marx.
En d’autres termes, c’est une sorte d’évolution, de la même manière que la sédentarisation a été une évolution par rapport au nomadisme et que le système des sédentaires était plus efficace que celui des nomades ! Et cette sorte d’évolution est artificielle, comme tout ce qui touche aux sociétés humaines (ça, c’est de Bernard Stiegler).
Et c’est cette évolution qui a transformé ET le système politique ET les consciences. Ça aussi, c’est du Marx.
En d’autres termes, si le capitalisme s’est imposé, c’est parce qu’il était plus fort que le système féodal qui le précédait (sous nos contrées en tout cas). Non seulement il était plus fort mais en plus (accroche toi à ton dentier), il était meilleur et il a apporté plein de choses. Enfin, maintenant que ce système est là, on ne peut pas l’enlever ni d’un coup de baguette magique, ni avec un plan de transition énergétique ni en lui envoyant les chars du Maréchal Joukov.
Parce que c’est un système, on ne peut pas dire « on enlève un petit bout de ceci, on ajoute un petit bout de cela et c’est réglé ». Parce que c’est un système, il détermine jusqu’à nos modes de vie. J’ai écrit un jour que s’il existait un interrupteur à capitalisme, qu’on pouvait l’éteindre d’un coup, il ne faudrait pas quinze jours avant qu’il y ait des émeutes pour qu’on le rallume et on le rallumerait !
Pour toutes ces raisons, je pense qu’on peut être anti-nucléaire, anti-fasciste ou anti-nazi, mais je ne vois pas le sens qu’aurait d’être anti-capitaliste.
Est-ce à dire que « There Is No Alternative », qu’il faut se résigner et que l’urgence est de créer un compost et un jardin partagés dans son quartier ?
Absolument pas, que du contraire. Le système capitaliste est basé sur la prédation des ressources, des corps et des âmes et la situation est tout bonnement explosive, à court, moyen et long terme. Une alternative est tout bonnement indispensable. Qu’est-ce qu’il y aura là-dedans ? Certainement quelques morceaux d’éco-socialisme, mais je n’ai pas encore vu grand-chose qui me convainc peu ou prou. Pourquoi ? Je me limite à deux raisons (il y en a d’autres).
D’abord que ce que j’ai vu reste complètement attaché au pouvoir d’achat et que le pouvoir d’achat est l’essence (au sens philosophique et comme carburant) du capitalisme. Plus fondamentalement, maintenant que nous savons que nous sommes un petit vaisseau spatial épuisé, il faut définir des priorités, et nous ne sommes nulle part.
Ensuite parce que la construction d’un autre système requiert un dépassement de la situation actuelle en termes de forces productives et donc une appréhension de la technique dans son ensemble. Là aussi, nous ne sommes nulle part : la « gauche » n’a pas le plus petit début de commencement de compréhension – et encore moins de vision politique – quant à ce qu’est la technique et en particulier par rapport à notre milieu technique actuel, qui est celui de la quatrième révolution industrielle.
À une amie qui me demandait d’expliquer en cinq lignes ce que je pensais de la compatibilité entre écologie et capitalisme, j’ai répondu (après avoir pondu mes cinq lignes) que le capitalisme n’est même pas compatible avec lui-même et qu’il allait de toute manière se détruire. Dans ce sens-là, « There Is No Alternative » autre que de chercher autre chose, sans se faire plaisir avec des slogans vides de sens.
En ce qui me concerne, les tables de mortalité me donnent une espérance de vie restante d’environ 31 ans. Je ne compte me consacrer que à ces questions. Tu peux me dire que c’est une discussion de pseudo-intello à la mords moi le nœud si ça te chante : je m’en fiche. Pour ma part, ta réflexion idiote et blessante m’aura au moins servi à coucher par écrit pourquoi je la trouvais idiote et blessante et de cela je te remercie. Cela vaut bien d’aller manger une andouillette grillée.
Je t’embrasse.
Jean-Claude
1 J’ai beaucoup lu et entendu ce mot utilisé de cette manière par des gens qui ne sont pas des amis, à savoir des membres d’ÉCOLO qui, comme toi, n’avaient pas d’arguments à opposer, n’avaient rien compris, ne cherchaient pas à comprendre et se permettaient une posture condescendante sans s’excuser de rien du tout… Je suis certain que tu apprécieras la compagnie !
Je te laisse la profondeur de tes arguments, l’utilité et la productivité de ton propos.
Nous nous connaissons depuis 35 ans, époque à laquelle nous étions tous les deux membres de la Jeunesse Communiste. C’est au nom de cette appartenance que je te réponds et au nom de notre amitié aussi.
D’abord parce que nous en avons connu des slogans ronfleurs : nous allions tout casser et on allait voir ce qu’on allait voir ! On a vu…
Moi, ce que je vois, c’est que la condition pour qu’un projet politique soit adopté, donc soit accepté et porté, revendiqué, c’est qu’il repose sur du concret, un avenir dans lequel on puisse se projeter. Pour être… concret, je prends un exemple. Je suis anti-nucléaire : je pense qu’il faut supprimer le plus rapidement possible toute trace d’utilisation de l’énergie nucléaire et des armes nucléaires et je pense qu’il aurait mieux valu ne jamais y avoir recours. Mais si je veux convaincre, je dois au moins autant expliquer ce que je veux que ce que je ne veux pas : volume d’utilisation d’énergie, sources, lutte contre les gaspillages etc. C’est utile d’être anti-nucléaire pour s’opposer à la construction d’une nouvelle centrale, à la prolongation de la vie des centrales existantes, bref, pour faire de l’activisme mais pas pour montrer combien nous serions plus heureux sans recours au nucléaire civil et militaire.
Là, on pourrait croire qu’on va être d’accord toi et moi : ben voilà, on fait de l’activisme, on mobilise et on élimine le capitalisme !
Je ne suis pas d’accord pour une raison que je trouve importante. Combattre et vouloir remplacer un système de société sans en avoir compris les ressorts, c’est l’échec assuré. D’abord parce que on a toute les chances de commettre les mêmes erreurs (nos « amis » du « socialisme réellement existant » ne s’en sont d’ailleurs pas privés). Ensuite parce que cela empêche de reconnaître ses forces et donc de voir ce à quoi il faut faire gaffe quand on met autre chose en place.
Comprendre, essayer de comprendre, est à la fois la première et la dernière résistance : la première dans l’ordre chronologique et la dernière parce que si on y renonce, alors tout est vraiment perdu.
Et ce que moi j’observe, c’est précisément l’abandon en rase campagne de la démarche de compréhension de ce qui se joue. Pire, par tes propos, tu encourages à ne pas même simplement vouloir réfléchir en sachant pertinemment qu’ils sont partagés par beaucoup puisque c’est l’époque des petites phrases et des slogans et je trouve cela consternant et proprement scandaleux. J’en ai honte.
Alors partant de là, qu’y a t-il à comprendre ?
Et bien, espèce de tête de nœud, tout d’abord que, contrairement à l’utilisation civile et militaire du nucléaire ou contrairement, par exemple, à l’avènement du fascisme ou du nazisme, l’avènement du capitalisme n’est pas le résultat d’un rapport de force politique, d’une décision qui se serait prise à un moment donné : c’est le résultat d’une évolution sociale des forces productives. Qui dit cela ? Karl Marx.
En d’autres termes, c’est une sorte d’évolution, de la même manière que la sédentarisation a été une évolution par rapport au nomadisme et que le système des sédentaires était plus efficace que celui des nomades ! Et cette sorte d’évolution est artificielle, comme tout ce qui touche aux sociétés humaines (ça, c’est de Bernard Stiegler).
Et c’est cette évolution qui a transformé ET le système politique ET les consciences. Ça aussi, c’est du Marx.
En d’autres termes, si le capitalisme s’est imposé, c’est parce qu’il était plus fort que le système féodal qui le précédait (sous nos contrées en tout cas). Non seulement il était plus fort mais en plus (accroche toi à ton dentier), il était meilleur et il a apporté plein de choses. Enfin, maintenant que ce système est là, on ne peut pas l’enlever ni d’un coup de baguette magique, ni avec un plan de transition énergétique ni en lui envoyant les chars du Maréchal Joukov.
Parce que c’est un système, on ne peut pas dire « on enlève un petit bout de ceci, on ajoute un petit bout de cela et c’est réglé ». Parce que c’est un système, il détermine jusqu’à nos modes de vie. J’ai écrit un jour que s’il existait un interrupteur à capitalisme, qu’on pouvait l’éteindre d’un coup, il ne faudrait pas quinze jours avant qu’il y ait des émeutes pour qu’on le rallume et on le rallumerait !
Pour toutes ces raisons, je pense qu’on peut être anti-nucléaire, anti-fasciste ou anti-nazi, mais je ne vois pas le sens qu’aurait d’être anti-capitaliste.
Est-ce à dire que « There Is No Alternative », qu’il faut se résigner et que l’urgence est de créer un compost et un jardin partagés dans son quartier ?
Absolument pas, que du contraire. Le système capitaliste est basé sur la prédation des ressources, des corps et des âmes et la situation est tout bonnement explosive, à court, moyen et long terme. Une alternative est tout bonnement indispensable. Qu’est-ce qu’il y aura là-dedans ? Certainement quelques morceaux d’éco-socialisme, mais je n’ai pas encore vu grand-chose qui me convainc peu ou prou. Pourquoi ? Je me limite à deux raisons (il y en a d’autres).
D’abord que ce que j’ai vu reste complètement attaché au pouvoir d’achat et que le pouvoir d’achat est l’essence (au sens philosophique et comme carburant) du capitalisme. Plus fondamentalement, maintenant que nous savons que nous sommes un petit vaisseau spatial épuisé, il faut définir des priorités, et nous ne sommes nulle part.
Ensuite parce que la construction d’un autre système requiert un dépassement de la situation actuelle en termes de forces productives et donc une appréhension de la technique dans son ensemble. Là aussi, nous ne sommes nulle part : la « gauche » n’a pas le plus petit début de commencement de compréhension – et encore moins de vision politique – quant à ce qu’est la technique et en particulier par rapport à notre milieu technique actuel, qui est celui de la quatrième révolution industrielle.
À une amie qui me demandait d’expliquer en cinq lignes ce que je pensais de la compatibilité entre écologie et capitalisme, j’ai répondu (après avoir pondu mes cinq lignes) que le capitalisme n’est même pas compatible avec lui-même et qu’il allait de toute manière se détruire. Dans ce sens-là, « There Is No Alternative » autre que de chercher autre chose, sans se faire plaisir avec des slogans vides de sens.
En ce qui me concerne, les tables de mortalité me donnent une espérance de vie restante d’environ 31 ans. Je ne compte me consacrer que à ces questions. Tu peux me dire que c’est une discussion de pseudo-intello à la mords moi le nœud si ça te chante : je m’en fiche. Pour ma part, ta réflexion idiote et blessante m’aura au moins servi à coucher par écrit pourquoi je la trouvais idiote et blessante et de cela je te remercie. Cela vaut bien d’aller manger une andouillette grillée.
Je t’embrasse.
Jean-Claude
1 J’ai beaucoup lu et entendu ce mot utilisé de cette manière par des gens qui ne sont pas des amis, à savoir des membres d’ÉCOLO qui, comme toi, n’avaient pas d’arguments à opposer, n’avaient rien compris, ne cherchaient pas à comprendre et se permettaient une posture condescendante sans s’excuser de rien du tout… Je suis certain que tu apprécieras la compagnie !