Les crises écologiques sont – dans une large mesure à juste titre – pointées comme des menaces pour l’humanité.
Si je dis « à juste titre », ce n’est pas sur le ton alarmiste habituel, en tant que menace pour l’existence de Sapiens Sapiens : je crois que le risque est que, avant de disparaitre, nous perdions ce qui fait de nous des humains, soit des animaux qui ont, ces dernières dizaines de milliers d’années (au moins) développé des civilisations, soit des modes de vie où peuvent (entre autres) s’exprimer l’affection, l’empathie et les arts, se développer les sciences en tant qu’exercice de la raison, l’éthique et toutes les constructions sociales qui permettent la sociabilité gratuite, au sens le plus large : avoir du soin pour les plus faibles, partager, être capables de s’élever ensemble.
Il suffit de voir à quoi nous sommes ramenés dès qu’un problème se présente (un attentat, une menace de pénurie, une grève,…) pour comprendre que le jour où ce qu’on appelle « l’Anthropocène » (concept sur lequel je prépare un bouquin) donnera sa pleine mesure, et bien nous nous comporterons ni mieux ni pire que les passagers du Radeau de la Méduse et deviendrons capables de littéralement nous manger entre nous.
Mais ce n’est pas de cela dont je veux parler ici : je mentionne ces crises simplement pour cadrer le débat.
Deux faits animent mon texte. Le premier est une prise de position de l’association Natagora, qui vise à réduire le rôle prédateur du chat, dans le cadre de la préservation de la biodiversité. Une des mesures préconisées est de limiter leurs sorties (le texte est ici1) pour réduire le nombre d’oiseaux mangés par des chats. Je pense qu’on s’enfonce dans le délire. Je ne revendique évidemment aucune objectivité envers les chats. Je veux simplement pointer que leur présence en tant qu’animaux domestiques est un rappel de la vie sauvage parmi nous. Même nourris aux croquettes et profondément endormis sur un canapé, oui, les chats restent de petits félins indomptables. Même capables des pires bassesses manipulatrices pour faire de nous ce qu’ils veulent, ils restent un témoignage bien présent de ce qu’est une pyramide alimentaire qui n’a que faire des débats sur l’étourdissement de la nourriture animale. Enfin, ce témoignage de la vie sauvage est très utile pour notre propre éducation et celle de nos enfants. On ne peut traiter un chat comme une peluche faute de quoi on s’expose à un méchant coup de griffe ou à des incisives plantées profondément dans une main. Et je trouve cela très bien ainsi.
Aussi, restreindre la liberté de ces petits félins au nom de ce que les oiseaux sont en voie de disparition est injuste, irresponsable et idiot.
C’est injuste parce que ce ne sont pas eux qui ont porté atteinte à la biodiversité.
Irresponsable parce que « nous » ne prenons pas nos responsabilités. La diminution du nombre d’oiseaux est avant tout question de pollutions diverses et de réchauffement climatique.
Idiot parce qu’il leur est bien plus difficile de porter atteinte à la vie d’un oiseau qu’à celle des petits rongeurs qui peuvent être bien dérangeants pour nos habitats et jardins.
Bref, les recommandations de Natagora sont comme l’enfer, pavées de bonnes intentions. Elles ont une portée symbolique et pratique importante et sont emblématiques de la folie qui nous gagne et de ce que nous y perdons notre humanité au sens où je l’évoquais ci-dessus.
Le second fait qui attire mon attention est l’utilisation par la ville de Katovice de drones détecteurs de pollution, drones utilisés pour punir d’amendes les contrevenants. La mesure est rapportée par la RTBf ici. Elle est emblématique du « solutionnisme technologique » analysé avec beaucoup de justesse par Evgeny Morozov dans son ouvrage « Pour tout résoudre, cliquez ici2 ».
Ce solutionnisme technologique est aveugle aux déterminismes sociaux et ne se pose pas de questions. Qu’il soit plus facile aux plus aisés financièrement de moins polluer en se chauffant et que cette approche passe sous silence les autres comportements néfastes de ces nantis (en gros, la consommation plus importante, sous couvert de bonne conscience) n’entre en rien en considération. Notons que le drone n’ajoute aucune fonction. Les capteurs utilisés existent déjà. Simplement, ils sont jusqu’ici actionnés par des bipèdes omnivores qui se déplacent, constatent et permettent au droit (même au droit de l’environnement) d’agir.
Ce solutionnisme technologique marche dans les pas d’une autre forme de solutionnisme, qui date de plus de 200 ans, et qui a consisté, sous le règne de Napoléon Bonaparte, à codifier les questions environnementales. Alors qu’auparavant, les questions de pollution étaient du ressort de la police, un « droit de l’environnement » a été institué3. Ce droit est régi par des permis. Ces permis sont contraignants, au sens où « on ne permet pas n’importe quoi » mais ils offrent une protection juridique au pollueur : une fois le permis obtenu, il a tous les droits dans le cadre de ce permis, quelles qu’en soient les conséquences4. Vous avez aimé les zones industrielles où la pollution coupe l’espérance de vie ? Vous adorerez les drones qui se focalisent sur certains polluants (forcément) et vont donc vous expliquer que vous n’avez aucune raison de vous plaindre puisqu’ils n’ont rien détecté.
De manière beaucoup moins bien documentée, cette approche des questions environnementales s’inscrit dans une « smartification » généralisée de la société. Depuis la nuit des temps, il existe des conflits entre humains, certains plus ou moins sympas, d’autres plus ou moins teigneux, certains de bonne foi et de bonne volonté, d’autres mal lunés et qui ne veulent rien entendre, certains traitant au moins pire les urgences, d’autres se vautrant dans leur égoïsme. L’avènement des technologies numériques a bouleversé tout cela dans l’indifférence politique la plus totale : il n’y a plus d’humains, il y a d’abord des données, des données produites, collectées, traitées statistiquement, comparées pour établir des « faits incontestables », au nom de ce qu’ils sont le résultat de calculs. Ces faits produisent des signaux : une amende ou un « score social » dont les meilleurs d’entre nous pourront se prévaloir et dont les autres n’auront que le silence pour boire leur honte.
Avec de telles techniques, les amendes ne seront bientôt même plus nécessaires : il suffira, au nom de la « transparence » et de la « démocratie » de publier les chiffres pour que toutes celles et tous ceux qui le peuvent tentent de se conformer au mieux aux « attentes », qui n’auront même plus à être formulées. Nous vivrons alors dans un monde merveilleux où chacun est le flic de tout le monde5. Ce monde est déjà là dans les métropoles en nombre croissant qui ont mis un place une LEZ : Low Emission Zone, encadrée par des radars qui détectent non pas la pollution de VOTRE véhicule mais bien si celui-ci satisfait en théorie aux normes d’émission6.
Précisément, il faut contester ces faits dans la manière dont ils ont été établis et en raison de ce qu’ils produisent.
Dans la manière dont ils ont été établis parce cette manière porte sa réponse en elle. Les drones déployés au dessus de Katowice, ou la LEZ établie autour de Bruxelles, ne vont jamais détecter le mal fait aux corps par un travail dans des conditions insalubres, que l’insalubrité soit physique ou mentale. Ils ne vont jamais détecter la toxicité d’une société de surconsommation qui engendre dégâts sociaux ici et pollutions là-bas.
Lorsque je parle de cette manière de procéder, je n’ai souvent pas la possibilité de terminer ma phrase. Je peux être interrompu de deux manières différentes.
Parce que je serais un technophobe tout d’abord. Moi, technophobe, alors que j’ai écrit des dizaines de milliers de ligne de code et conçu des centaines d’algorithmes, que j’en concevrai encore quelques uns dans le futur et que je suis un gros producteur d’analyses statistiques. Simplement, le fait de plonger aussi régulièrement mes mains dans ce cambouis numérique me porte à prendre distance par rapport à l’autorité que cela confère. Je suis le premier, sans sombrer dans le plaidoyer pro domo, à pouvoir expliquer l’utilité de ce travail. Mais je suis également le premier à ne jamais relâcher mes efforts pour saper le caractère autoritaire de ce travail. Oui, il est utile, oui, il permet de répondre à des questions auxquelles il aurait autrement été impossible de répondre mais oui, aussi, la réponse fait, d’une manière ou d’une autre, partie de la question, et perdre cela de vue est la meilleure garantie de se noyer dans le totalitarisme numérique.
L’autre argument avec lequel je suis interrompu est qu’il ne s’agirait que d’un début. Alors, ça, oui, je suis d’accord : ce n’est qu’un début. Mais ce n’est pas un bon début : c’est un mauvais début. C’est un début qui produit l’exclusion de toutes celles et tous ceux qui n’ont aucun bénéfice à en attendre (voir ci-dessus) et de toutes celles et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre ont des préoccupations à un niveau bien inférieur à celles relayées par ces machines connectées, machines à produire des « faits incontestables ». En bref, c’est un début qui ne fera qu’alimenter la rage des déclassés. Vous avez aimé les Gilets Jaunes ? L’écologie numérisée vous fera adorer la suite...
D’un point de vue écologique, c’est un début qui ressemble à la fable du soûlard qui, ayant perdu ses clés nuitamment, s’obstine à les chercher dans le halo de lumière d’un réverbère. Pourquoi les cherche t-il là ? Et bien parce qu’ailleurs, il fait noir. Cette manière de pratiquer l’écologie passera toujours à côté des zones que l’on n’aura pas voulu éclairer. Elle ne résoudra donc rien du tout.
Pour conclure, faute de contester ces faits, il n’y aura aucune humanité sauvée. Cela ne sauvera rien du tout, comme je viens de l’expliquer. Et cela fera agoniser ce qui reste d’humain en nous, nous transformant en autant de chiens de Pavlov, réactifs aux signaux, finissant par les intégrer et par les anticiper.
1 Ce texte est évidemment bien plus nuancé que ce qu’en a fait une certaine presse fangeuse qui titrait sur l’interdiction de laisser sortir les chats...
2Traduction en français chez FYP éditions : https://www.fypeditions.com/resoudre-laberration-du-solutionnisme-technologique-evgeny-morozov/.
3Voir l’incomparable ouvrage « L’évènement Anthropocène », par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz : http://www.seuil.com/ouvrage/l-evenement-anthropocene-jean-baptiste-fressoz/9782021135008.
4Même lorsque ces conséquences sont la mort de 64 personnes en vallée de la Meuse, comme expliqué brillamment par Alexis Zimmer dans son ouvrage « Brouillards toxiques » : http://www.zones-sensibles.org/alexis-zimmer-brouillards-toxiques/
5Monde décrit avec brio par Alain Damasio dans « La Zone du Dehors » : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Zone_du_Dehors
6Normes dont le « scandale Volkswagen » nous rappelle tout le bien qu’il faut en penser...
Si je dis « à juste titre », ce n’est pas sur le ton alarmiste habituel, en tant que menace pour l’existence de Sapiens Sapiens : je crois que le risque est que, avant de disparaitre, nous perdions ce qui fait de nous des humains, soit des animaux qui ont, ces dernières dizaines de milliers d’années (au moins) développé des civilisations, soit des modes de vie où peuvent (entre autres) s’exprimer l’affection, l’empathie et les arts, se développer les sciences en tant qu’exercice de la raison, l’éthique et toutes les constructions sociales qui permettent la sociabilité gratuite, au sens le plus large : avoir du soin pour les plus faibles, partager, être capables de s’élever ensemble.
Il suffit de voir à quoi nous sommes ramenés dès qu’un problème se présente (un attentat, une menace de pénurie, une grève,…) pour comprendre que le jour où ce qu’on appelle « l’Anthropocène » (concept sur lequel je prépare un bouquin) donnera sa pleine mesure, et bien nous nous comporterons ni mieux ni pire que les passagers du Radeau de la Méduse et deviendrons capables de littéralement nous manger entre nous.
Mais ce n’est pas de cela dont je veux parler ici : je mentionne ces crises simplement pour cadrer le débat.
Deux faits animent mon texte. Le premier est une prise de position de l’association Natagora, qui vise à réduire le rôle prédateur du chat, dans le cadre de la préservation de la biodiversité. Une des mesures préconisées est de limiter leurs sorties (le texte est ici1) pour réduire le nombre d’oiseaux mangés par des chats. Je pense qu’on s’enfonce dans le délire. Je ne revendique évidemment aucune objectivité envers les chats. Je veux simplement pointer que leur présence en tant qu’animaux domestiques est un rappel de la vie sauvage parmi nous. Même nourris aux croquettes et profondément endormis sur un canapé, oui, les chats restent de petits félins indomptables. Même capables des pires bassesses manipulatrices pour faire de nous ce qu’ils veulent, ils restent un témoignage bien présent de ce qu’est une pyramide alimentaire qui n’a que faire des débats sur l’étourdissement de la nourriture animale. Enfin, ce témoignage de la vie sauvage est très utile pour notre propre éducation et celle de nos enfants. On ne peut traiter un chat comme une peluche faute de quoi on s’expose à un méchant coup de griffe ou à des incisives plantées profondément dans une main. Et je trouve cela très bien ainsi.
Aussi, restreindre la liberté de ces petits félins au nom de ce que les oiseaux sont en voie de disparition est injuste, irresponsable et idiot.
C’est injuste parce que ce ne sont pas eux qui ont porté atteinte à la biodiversité.
Irresponsable parce que « nous » ne prenons pas nos responsabilités. La diminution du nombre d’oiseaux est avant tout question de pollutions diverses et de réchauffement climatique.
Idiot parce qu’il leur est bien plus difficile de porter atteinte à la vie d’un oiseau qu’à celle des petits rongeurs qui peuvent être bien dérangeants pour nos habitats et jardins.
Bref, les recommandations de Natagora sont comme l’enfer, pavées de bonnes intentions. Elles ont une portée symbolique et pratique importante et sont emblématiques de la folie qui nous gagne et de ce que nous y perdons notre humanité au sens où je l’évoquais ci-dessus.
Le second fait qui attire mon attention est l’utilisation par la ville de Katovice de drones détecteurs de pollution, drones utilisés pour punir d’amendes les contrevenants. La mesure est rapportée par la RTBf ici. Elle est emblématique du « solutionnisme technologique » analysé avec beaucoup de justesse par Evgeny Morozov dans son ouvrage « Pour tout résoudre, cliquez ici2 ».
Ce solutionnisme technologique est aveugle aux déterminismes sociaux et ne se pose pas de questions. Qu’il soit plus facile aux plus aisés financièrement de moins polluer en se chauffant et que cette approche passe sous silence les autres comportements néfastes de ces nantis (en gros, la consommation plus importante, sous couvert de bonne conscience) n’entre en rien en considération. Notons que le drone n’ajoute aucune fonction. Les capteurs utilisés existent déjà. Simplement, ils sont jusqu’ici actionnés par des bipèdes omnivores qui se déplacent, constatent et permettent au droit (même au droit de l’environnement) d’agir.
Ce solutionnisme technologique marche dans les pas d’une autre forme de solutionnisme, qui date de plus de 200 ans, et qui a consisté, sous le règne de Napoléon Bonaparte, à codifier les questions environnementales. Alors qu’auparavant, les questions de pollution étaient du ressort de la police, un « droit de l’environnement » a été institué3. Ce droit est régi par des permis. Ces permis sont contraignants, au sens où « on ne permet pas n’importe quoi » mais ils offrent une protection juridique au pollueur : une fois le permis obtenu, il a tous les droits dans le cadre de ce permis, quelles qu’en soient les conséquences4. Vous avez aimé les zones industrielles où la pollution coupe l’espérance de vie ? Vous adorerez les drones qui se focalisent sur certains polluants (forcément) et vont donc vous expliquer que vous n’avez aucune raison de vous plaindre puisqu’ils n’ont rien détecté.
De manière beaucoup moins bien documentée, cette approche des questions environnementales s’inscrit dans une « smartification » généralisée de la société. Depuis la nuit des temps, il existe des conflits entre humains, certains plus ou moins sympas, d’autres plus ou moins teigneux, certains de bonne foi et de bonne volonté, d’autres mal lunés et qui ne veulent rien entendre, certains traitant au moins pire les urgences, d’autres se vautrant dans leur égoïsme. L’avènement des technologies numériques a bouleversé tout cela dans l’indifférence politique la plus totale : il n’y a plus d’humains, il y a d’abord des données, des données produites, collectées, traitées statistiquement, comparées pour établir des « faits incontestables », au nom de ce qu’ils sont le résultat de calculs. Ces faits produisent des signaux : une amende ou un « score social » dont les meilleurs d’entre nous pourront se prévaloir et dont les autres n’auront que le silence pour boire leur honte.
Avec de telles techniques, les amendes ne seront bientôt même plus nécessaires : il suffira, au nom de la « transparence » et de la « démocratie » de publier les chiffres pour que toutes celles et tous ceux qui le peuvent tentent de se conformer au mieux aux « attentes », qui n’auront même plus à être formulées. Nous vivrons alors dans un monde merveilleux où chacun est le flic de tout le monde5. Ce monde est déjà là dans les métropoles en nombre croissant qui ont mis un place une LEZ : Low Emission Zone, encadrée par des radars qui détectent non pas la pollution de VOTRE véhicule mais bien si celui-ci satisfait en théorie aux normes d’émission6.
Précisément, il faut contester ces faits dans la manière dont ils ont été établis et en raison de ce qu’ils produisent.
Dans la manière dont ils ont été établis parce cette manière porte sa réponse en elle. Les drones déployés au dessus de Katowice, ou la LEZ établie autour de Bruxelles, ne vont jamais détecter le mal fait aux corps par un travail dans des conditions insalubres, que l’insalubrité soit physique ou mentale. Ils ne vont jamais détecter la toxicité d’une société de surconsommation qui engendre dégâts sociaux ici et pollutions là-bas.
Lorsque je parle de cette manière de procéder, je n’ai souvent pas la possibilité de terminer ma phrase. Je peux être interrompu de deux manières différentes.
Parce que je serais un technophobe tout d’abord. Moi, technophobe, alors que j’ai écrit des dizaines de milliers de ligne de code et conçu des centaines d’algorithmes, que j’en concevrai encore quelques uns dans le futur et que je suis un gros producteur d’analyses statistiques. Simplement, le fait de plonger aussi régulièrement mes mains dans ce cambouis numérique me porte à prendre distance par rapport à l’autorité que cela confère. Je suis le premier, sans sombrer dans le plaidoyer pro domo, à pouvoir expliquer l’utilité de ce travail. Mais je suis également le premier à ne jamais relâcher mes efforts pour saper le caractère autoritaire de ce travail. Oui, il est utile, oui, il permet de répondre à des questions auxquelles il aurait autrement été impossible de répondre mais oui, aussi, la réponse fait, d’une manière ou d’une autre, partie de la question, et perdre cela de vue est la meilleure garantie de se noyer dans le totalitarisme numérique.
L’autre argument avec lequel je suis interrompu est qu’il ne s’agirait que d’un début. Alors, ça, oui, je suis d’accord : ce n’est qu’un début. Mais ce n’est pas un bon début : c’est un mauvais début. C’est un début qui produit l’exclusion de toutes celles et tous ceux qui n’ont aucun bénéfice à en attendre (voir ci-dessus) et de toutes celles et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre ont des préoccupations à un niveau bien inférieur à celles relayées par ces machines connectées, machines à produire des « faits incontestables ». En bref, c’est un début qui ne fera qu’alimenter la rage des déclassés. Vous avez aimé les Gilets Jaunes ? L’écologie numérisée vous fera adorer la suite...
D’un point de vue écologique, c’est un début qui ressemble à la fable du soûlard qui, ayant perdu ses clés nuitamment, s’obstine à les chercher dans le halo de lumière d’un réverbère. Pourquoi les cherche t-il là ? Et bien parce qu’ailleurs, il fait noir. Cette manière de pratiquer l’écologie passera toujours à côté des zones que l’on n’aura pas voulu éclairer. Elle ne résoudra donc rien du tout.
Pour conclure, faute de contester ces faits, il n’y aura aucune humanité sauvée. Cela ne sauvera rien du tout, comme je viens de l’expliquer. Et cela fera agoniser ce qui reste d’humain en nous, nous transformant en autant de chiens de Pavlov, réactifs aux signaux, finissant par les intégrer et par les anticiper.
1 Ce texte est évidemment bien plus nuancé que ce qu’en a fait une certaine presse fangeuse qui titrait sur l’interdiction de laisser sortir les chats...
2Traduction en français chez FYP éditions : https://www.fypeditions.com/resoudre-laberration-du-solutionnisme-technologique-evgeny-morozov/.
3Voir l’incomparable ouvrage « L’évènement Anthropocène », par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz : http://www.seuil.com/ouvrage/l-evenement-anthropocene-jean-baptiste-fressoz/9782021135008.
4Même lorsque ces conséquences sont la mort de 64 personnes en vallée de la Meuse, comme expliqué brillamment par Alexis Zimmer dans son ouvrage « Brouillards toxiques » : http://www.zones-sensibles.org/alexis-zimmer-brouillards-toxiques/
5Monde décrit avec brio par Alain Damasio dans « La Zone du Dehors » : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Zone_du_Dehors
6Normes dont le « scandale Volkswagen » nous rappelle tout le bien qu’il faut en penser...