Après tant d'autres, j'ai vu le film-documentaire-événement « Demain ». Indépendamment de la qualité des témoignages et intervenants et sans procès idiot à l'égard de ceux qui l'ont aimé, ce film m'a profondément déplu. Manque de crédibilité, manque d'intérêt, absence des questions d'inégalités et de discriminations, je n'y ai vu qu'un exercice de style de communicant, même pas très bon: je me suis ennuyé et ai attendu avec impatience la fin du film. Un exemple de plus de ce que les bonnes intentions sont souvent la pire des choses.
On me parlera des mérites du film en matière de conscientisation à la cause écologique. Est-il nécessaire de recourir aux codes du marketing pour conscientiser une cause dont les problèmes sont précisément des questions de modes de vie, de sur-consommation, dont la base réside précisément dans l'utilisation massive et permanente de ces mêmes techniques de marketing ?
Est-il crédible de parler de questions écologiques en parcourant pour pas grand chose la planète en tous sens en utilisant les moyens de déplacement les plus polluants et les plus significatifs du mode de vie occidental qui soient ?
Exemple de « pour pas grand chose » : interviewer un économiste anglais sur une plage pour se faire expliquer le mécanisme de création monétaire. N'importe qui peut trouver cela sur internet et cela a déjà été expliqué 1.000 fois.
Il n'est pas interdit de se déplacer, y compris en prenant l'avion ou divers gros véhicules automobiles. Il ne m'est pas interdit non plus de penser que les raisons du déplacement n'apportent pas d'information nouvelle, à une exception près me concernant : l'intérêt d'organiser les activités tant agricoles qu'économiques de manière intégrée, c'est-à-dire en pensant aux intrants et aux produits dès le départ. Cela démolit le sacro-saint principe de division et spécialisation du travail, mais cette importante conclusion n'est pas du tout tirée. Manque de pot : c'est expliqué à partir d'expériences normande et lilloise. Ils auraient pu aller à vélo pour recueillir ces témoignages.
Ça aurait eu une toute autre gueule de montrer ces expériences en combinant des déplacements écologiques (vélo et train) et en pratiquant la politique du réseau, c'est-à-dire en se liant avec des réalisateurs locaux et en communiquant à distance.
Le film s'ouvre de manière quasi biblique : on y voit nos six pieds nickelés marchant en file indienne au sommet d'une crête, se détachant sur fond de ciel. L'impression d'une auto-célébration de nos six apprentis militants reviendra à de nombreuses reprises, jusque et y compris dans la joie de redécouvrir l’œuf de Colomb à chaque séquence, séquence qui se conclut par une scène de groupe, dans la joie et la bonne humeur autour des personnes qui ont été interviewées et de leurs subordonnés.
Ensuite ? Et bien ensuite nos six apprentis-militants font le tour d'un monde peuplé quasi exclusivement de blancs dominants. Il y a bien une séquence tournée dans un village d'Inde dans lequel on finit par filmer des familles pauvres de différentes castes qui partagent leur quartier. Et quand on interviewe une famille, et bien ce sont les Brahmanes et non les intouchables à qui on tend le micro.
On nous présente une belle réalisation bien écolo à la Réunion. Et qui c'est qu'on interviewe ? Un blanc, bien propre sur lui, avec un parler bien métropolitain. On aperçoit tout juste l'un ou l'autre individu à la peau noire. Quant à savoir ce qu'il pense de tout cela...
On nous présente une manager de la politique de recyclage des déchets de San Francisco. Passons sur le fait qu'il ne semblait pas y avoir d'exemple plus proche. La manager cause, le chef du centre de retraitement cause, on voit d'immenses véhicules plus polluants les uns que les autres acheminant les « ressources » d'un coin à l'autre du centre et puis de bons gros éboueurs ou trieurs qui s'affairent autour de leurs camions ou sur la chaine de tri. Que pensent-ils ? Qu'ont-ils à dire ? Comment vivent-ils les choses ? Le mystère reste entier.
Ce n'est pas faire preuve de nationalisme que de pointer les très belles interventions de nos compatriotes Olivier de Schutter et Bernard Lietaer sur l'alimentation et sur les monnaies complémentaires.
En revanche, Pierre Rabhi qui nous explique que l'Humain est par nature accumulateur de ressources, comment dire... Il me semble qu'il y a déjà eu quelques auteurs qui se sont penchés sur cette question. L'Humain occidental capitaliste fait cela, oui. Les autres ?
Je ne m’appesantirai pas sur les banalités à propos de la « classe politique », qui serait une race à part et homogène, destinée à régner sans partage, sans que rien ni personne n'ait la moindre responsabilité en la matière. Parler de « classe politique » et le faire en ces termes-là, c'est l'essentiel du chemin vers le « tous les mêmes, tous pourris, y a rien de plus à comprendre »1.
Bref, tout cela procède d'un gigantesque éloge à la paresse intellectuelle et au contentement de soi.
Si on me dit « il ne faut pas faire peur », je réponds « exact, mais il faut savoir où se trouve l'ennemi ».
Et donc, non, il ne s'agit pas QUE d'un film gentillet auquel on n'aurait rien à reprocher. Traiter un tel sujet avec une telle légerté est au mieux inhibant et au pire trompeur. Et de toutes les manières, rien ou si peu n'est fait ni pour pointer la responsabilité des inégalités à l'échelle de la Planète et de leur construction et rien que cette faute, ce serait déjà faire du mal. Et c'est impardonnable.
1Lors des élections communales de 2012, à Forest, ma Commune, il y avait 8 listes totalisant 230 candidats aux 37 sièges de conseillers communaux. Aux élections régionales de 2014, à Bruxelles, il y avait 693 candidats effectifs et 248 candidats suppléants pour les 72 postes à pourvoir. Toutes ces personnes sont elles des débiles profonds, de dangereux individus assoiffés de pouvoir, ou bien y a t-il un système médiatique et idéologique qui fait que ce choix n'est pas vraiment libre et que c'est ça qu'il faut combattre ? Si oui, alors au nom de quoi « Demain » se permet-il d'user des mêmes codes ?
On me parlera des mérites du film en matière de conscientisation à la cause écologique. Est-il nécessaire de recourir aux codes du marketing pour conscientiser une cause dont les problèmes sont précisément des questions de modes de vie, de sur-consommation, dont la base réside précisément dans l'utilisation massive et permanente de ces mêmes techniques de marketing ?
Est-il crédible de parler de questions écologiques en parcourant pour pas grand chose la planète en tous sens en utilisant les moyens de déplacement les plus polluants et les plus significatifs du mode de vie occidental qui soient ?
Exemple de « pour pas grand chose » : interviewer un économiste anglais sur une plage pour se faire expliquer le mécanisme de création monétaire. N'importe qui peut trouver cela sur internet et cela a déjà été expliqué 1.000 fois.
Il n'est pas interdit de se déplacer, y compris en prenant l'avion ou divers gros véhicules automobiles. Il ne m'est pas interdit non plus de penser que les raisons du déplacement n'apportent pas d'information nouvelle, à une exception près me concernant : l'intérêt d'organiser les activités tant agricoles qu'économiques de manière intégrée, c'est-à-dire en pensant aux intrants et aux produits dès le départ. Cela démolit le sacro-saint principe de division et spécialisation du travail, mais cette importante conclusion n'est pas du tout tirée. Manque de pot : c'est expliqué à partir d'expériences normande et lilloise. Ils auraient pu aller à vélo pour recueillir ces témoignages.
Ça aurait eu une toute autre gueule de montrer ces expériences en combinant des déplacements écologiques (vélo et train) et en pratiquant la politique du réseau, c'est-à-dire en se liant avec des réalisateurs locaux et en communiquant à distance.
Le film s'ouvre de manière quasi biblique : on y voit nos six pieds nickelés marchant en file indienne au sommet d'une crête, se détachant sur fond de ciel. L'impression d'une auto-célébration de nos six apprentis militants reviendra à de nombreuses reprises, jusque et y compris dans la joie de redécouvrir l’œuf de Colomb à chaque séquence, séquence qui se conclut par une scène de groupe, dans la joie et la bonne humeur autour des personnes qui ont été interviewées et de leurs subordonnés.
Ensuite ? Et bien ensuite nos six apprentis-militants font le tour d'un monde peuplé quasi exclusivement de blancs dominants. Il y a bien une séquence tournée dans un village d'Inde dans lequel on finit par filmer des familles pauvres de différentes castes qui partagent leur quartier. Et quand on interviewe une famille, et bien ce sont les Brahmanes et non les intouchables à qui on tend le micro.
On nous présente une belle réalisation bien écolo à la Réunion. Et qui c'est qu'on interviewe ? Un blanc, bien propre sur lui, avec un parler bien métropolitain. On aperçoit tout juste l'un ou l'autre individu à la peau noire. Quant à savoir ce qu'il pense de tout cela...
On nous présente une manager de la politique de recyclage des déchets de San Francisco. Passons sur le fait qu'il ne semblait pas y avoir d'exemple plus proche. La manager cause, le chef du centre de retraitement cause, on voit d'immenses véhicules plus polluants les uns que les autres acheminant les « ressources » d'un coin à l'autre du centre et puis de bons gros éboueurs ou trieurs qui s'affairent autour de leurs camions ou sur la chaine de tri. Que pensent-ils ? Qu'ont-ils à dire ? Comment vivent-ils les choses ? Le mystère reste entier.
Ce n'est pas faire preuve de nationalisme que de pointer les très belles interventions de nos compatriotes Olivier de Schutter et Bernard Lietaer sur l'alimentation et sur les monnaies complémentaires.
En revanche, Pierre Rabhi qui nous explique que l'Humain est par nature accumulateur de ressources, comment dire... Il me semble qu'il y a déjà eu quelques auteurs qui se sont penchés sur cette question. L'Humain occidental capitaliste fait cela, oui. Les autres ?
Je ne m’appesantirai pas sur les banalités à propos de la « classe politique », qui serait une race à part et homogène, destinée à régner sans partage, sans que rien ni personne n'ait la moindre responsabilité en la matière. Parler de « classe politique » et le faire en ces termes-là, c'est l'essentiel du chemin vers le « tous les mêmes, tous pourris, y a rien de plus à comprendre »1.
Bref, tout cela procède d'un gigantesque éloge à la paresse intellectuelle et au contentement de soi.
Si on me dit « il ne faut pas faire peur », je réponds « exact, mais il faut savoir où se trouve l'ennemi ».
Et donc, non, il ne s'agit pas QUE d'un film gentillet auquel on n'aurait rien à reprocher. Traiter un tel sujet avec une telle légerté est au mieux inhibant et au pire trompeur. Et de toutes les manières, rien ou si peu n'est fait ni pour pointer la responsabilité des inégalités à l'échelle de la Planète et de leur construction et rien que cette faute, ce serait déjà faire du mal. Et c'est impardonnable.
1Lors des élections communales de 2012, à Forest, ma Commune, il y avait 8 listes totalisant 230 candidats aux 37 sièges de conseillers communaux. Aux élections régionales de 2014, à Bruxelles, il y avait 693 candidats effectifs et 248 candidats suppléants pour les 72 postes à pourvoir. Toutes ces personnes sont elles des débiles profonds, de dangereux individus assoiffés de pouvoir, ou bien y a t-il un système médiatique et idéologique qui fait que ce choix n'est pas vraiment libre et que c'est ça qu'il faut combattre ? Si oui, alors au nom de quoi « Demain » se permet-il d'user des mêmes codes ?