Monsieur le Ministre de l'Intérieur,
Monsieur Jambon,
Mon petit-fils me dit qu'il y a tout un bazar en Belgique pour l'instant, parce que vous avez dit que « les gens avaient leurs raisons de collaborer avec les Allemands ».
Tout d'abord, Monsieur le Ministre, sans vouloir vous offenser, ce n'est pas tant collaborer avec les Allemands qui est un problème. Il y a des tas de gens qui ont collaboré avec des Allemands : Kant, Nietsche, Hegel, Marx, Husserl sans que cela ne fasse tout un foin. Non, les gens dont vous parlez ont collaboré avec les nazis, Monsieur le Ministre, pas simplement avec les Allemands.
Je ne sais pas si les gens qui ont collaboré avec les nazis avaient leurs raisons, mais dans ceux qui ont résisté, il y en a pour qui c'était facile, hein. Prenez mon cas. J'étais membre du Parti Communiste. Savez-vous que votre prédécesseur de 1940 avait fait enfermer les dirigeants communistes avant la guerre, jusqu'à l'attaque des nazis ? Tenez, mon Toone, le père de ma fille, et bien il était incarcéré en tant que communiste le 10 mai 40.
Alors, évidemment, c'est facile de ne pas collaborer quand on est communiste en 1940 puisque tout le monde vous tombe sur le dos ! On n'avait pas le choix, hein !
Et puis prenez mon nom : Cahen. C'est un nom juif, ça, Cahen. Il me vient de mon Papa, Maurice. Ah, ça, il a d'abord du laisser ses racines pour disparaître dans la grande ville, même pas son nom sur la sonnette de la porte d'entrée. Après, ni collaboration ni résistance ni rien puisqu'il est mort avant la guerre. Il y a juste eu ses deux sœurs, qui sont mortes à Auschwitz.
Vous pensez bien que même si j'avais voulu collaborer, communiste avec un nom juif, ils n'auraient pas voulu de moi, hein, alors c'était facile !
Et puis, mon petit-fils me dit qu'il y a un philosophe ou un humoriste, je ne sais plus, qui disait que les juifs étaient tout de même farouchement anti-nazis.
Pierre Desproges, qu'il s'appelait, ce monsieur. Moi, je ne l'ai pas connu. Il est né en 1940, comme ma fille, que je n'ai pas vraiment connue non plus, d'ailleurs.
Faut vous imaginer, hein, Monsieur le Ministre, c'est vrai que nous, nous n'avons pas vraiment eu le choix, mais ce n'était pas une partie de plaisir tous les jours, hein, faut pas croire. J'ai eu juste le temps d'accoucher de ma fille, mon petit moustique et puis hop !, dans la clandestinité, hein !
Moi aussi, j'étais anti-nazie, et les nazis, ils étaient anti-moi. D'ailleurs, il ne m'ont pas ratée: j'ai été dénoncée en juillet 1943.
Alors, vous parlez des choix de vos amis, mais pour moi, c'était terminé. Collaborer, ne pas collaborer, non, non, rien de tout ça : la prison de Saint Gilles, juste le temps de faire passer des petits messages pour mon moustique dans des ouvrages de tricot et puis terminé-bonsoir : trois ans de camp de concentration.
Et encore, hein, allez, vous allez croire que je me plains, mais vous aussi vous savez compter : condamnée à 3 ans en 1943 avec une guerre qui termine en 1945, vous pensez bien que je n'ai pas tout fait!
D'ailleurs, je suis morte avant, à Ravensbrück, le 15 février 1945.
Vous savez, Monsieur le Ministre, méfiez vous tout de même de mon petit-fils : il a assez mauvais caractère. Si jamais vous le croisiez, il pourrait bien vous faire son compliment !
Moi, je lui dis qu'on prend facilement un abruti sans culture pour un idéologue fasciste.
Vous serez d'accord avec moi qu'il vaut mieux être un abruti sans culture qu'un fasciste, n'est-ce pas, Monsieur le Ministre ?
Au moins là-dessus, hein, parce que sinon, je ne crois pas que nous serions d'accord sur grand chose...
Allez, je vous fais pas la bise, hein !
Salut en de kost !
Annette Cahen
Monsieur Jambon,
Mon petit-fils me dit qu'il y a tout un bazar en Belgique pour l'instant, parce que vous avez dit que « les gens avaient leurs raisons de collaborer avec les Allemands ».
Tout d'abord, Monsieur le Ministre, sans vouloir vous offenser, ce n'est pas tant collaborer avec les Allemands qui est un problème. Il y a des tas de gens qui ont collaboré avec des Allemands : Kant, Nietsche, Hegel, Marx, Husserl sans que cela ne fasse tout un foin. Non, les gens dont vous parlez ont collaboré avec les nazis, Monsieur le Ministre, pas simplement avec les Allemands.
Je ne sais pas si les gens qui ont collaboré avec les nazis avaient leurs raisons, mais dans ceux qui ont résisté, il y en a pour qui c'était facile, hein. Prenez mon cas. J'étais membre du Parti Communiste. Savez-vous que votre prédécesseur de 1940 avait fait enfermer les dirigeants communistes avant la guerre, jusqu'à l'attaque des nazis ? Tenez, mon Toone, le père de ma fille, et bien il était incarcéré en tant que communiste le 10 mai 40.
Alors, évidemment, c'est facile de ne pas collaborer quand on est communiste en 1940 puisque tout le monde vous tombe sur le dos ! On n'avait pas le choix, hein !
Et puis prenez mon nom : Cahen. C'est un nom juif, ça, Cahen. Il me vient de mon Papa, Maurice. Ah, ça, il a d'abord du laisser ses racines pour disparaître dans la grande ville, même pas son nom sur la sonnette de la porte d'entrée. Après, ni collaboration ni résistance ni rien puisqu'il est mort avant la guerre. Il y a juste eu ses deux sœurs, qui sont mortes à Auschwitz.
Vous pensez bien que même si j'avais voulu collaborer, communiste avec un nom juif, ils n'auraient pas voulu de moi, hein, alors c'était facile !
Et puis, mon petit-fils me dit qu'il y a un philosophe ou un humoriste, je ne sais plus, qui disait que les juifs étaient tout de même farouchement anti-nazis.
Pierre Desproges, qu'il s'appelait, ce monsieur. Moi, je ne l'ai pas connu. Il est né en 1940, comme ma fille, que je n'ai pas vraiment connue non plus, d'ailleurs.
Faut vous imaginer, hein, Monsieur le Ministre, c'est vrai que nous, nous n'avons pas vraiment eu le choix, mais ce n'était pas une partie de plaisir tous les jours, hein, faut pas croire. J'ai eu juste le temps d'accoucher de ma fille, mon petit moustique et puis hop !, dans la clandestinité, hein !
Moi aussi, j'étais anti-nazie, et les nazis, ils étaient anti-moi. D'ailleurs, il ne m'ont pas ratée: j'ai été dénoncée en juillet 1943.
Alors, vous parlez des choix de vos amis, mais pour moi, c'était terminé. Collaborer, ne pas collaborer, non, non, rien de tout ça : la prison de Saint Gilles, juste le temps de faire passer des petits messages pour mon moustique dans des ouvrages de tricot et puis terminé-bonsoir : trois ans de camp de concentration.
Et encore, hein, allez, vous allez croire que je me plains, mais vous aussi vous savez compter : condamnée à 3 ans en 1943 avec une guerre qui termine en 1945, vous pensez bien que je n'ai pas tout fait!
D'ailleurs, je suis morte avant, à Ravensbrück, le 15 février 1945.
Vous savez, Monsieur le Ministre, méfiez vous tout de même de mon petit-fils : il a assez mauvais caractère. Si jamais vous le croisiez, il pourrait bien vous faire son compliment !
Moi, je lui dis qu'on prend facilement un abruti sans culture pour un idéologue fasciste.
Vous serez d'accord avec moi qu'il vaut mieux être un abruti sans culture qu'un fasciste, n'est-ce pas, Monsieur le Ministre ?
Au moins là-dessus, hein, parce que sinon, je ne crois pas que nous serions d'accord sur grand chose...
Allez, je vous fais pas la bise, hein !
Salut en de kost !
Annette Cahen