Je rentrais chez moi après avoir déjeuné à Liège avec un ami. Je t’ai rencontré dans le train Liège-Bruxelles. Tu étais là, avec trois amis, plus des accompagnateurs, de la famille, deux jeunes guides. Aucun de vous ne parlait français. Nous avons un peu conversé en Anglais, langue que j’aime tant parler, sans jamais être vraiment certain que cette langue aime vraiment être parlée par moi.
Vous aviez été faire un petit tour en Ardennes et aviez été pris dans un embouteillage qui vous a fait manquer votre direct Liège-Paris.
Bref, connaissant un peu la gare du Midi, je me suis dit qu’un peu d’aide ne serait pas superflue : expliquer que, oui, ce train allait jusque Bruxelles-Midi, collecter les bagages face aux navetteurs qui embarqueraient pour Ostende, changer de quai etc.
Tu ne me l’as pas expliqué comme ça, c’est moi qui déduit que tu as reçu un baptême de l’air en planeur pour tes vingt ans. En fait, c’était huit jours avant tes vingt ans.
Tes vingt ans, tu l’es a eus le 13 juin 1944. Et ton vol en planeur remonte à la nuit du 5 au 6 juin 1944. Direction les arrières des plages d’Omaha Beach.
Toi et tes trois amis, vous avez 95 ou 96 ans. Vous apparteniez à la 82ème division aéroportée de l’armée des États-Unis.
Nous avons couru en tout sens dans cette maudite gare du Midi, renvoyés d’un accompagnateur de train à un chef de train qui ne voulait pas prendre le risque de vous avoir debout dans son train, qui nous renvoie au bureau Thalys, qui nous renvoie au bureau des billets internationaux, qui veut nous renvoyer vers le bureau Thalys. Après avoir été déboutés du premier train, péniblement atteint après avoir été renvoyés d’un bout à l’autre de la gare par les agents de sécurité, nous avons tenté d’en joindre un second, nous frayant un chemin parmi les voyageurs. Vous étiez là, clopin-clopant, vaillants, sans jamais émettre la moindre plainte, pas même face à ces malotrus à qui je devais demander de vous laisser passer, le plus doucement possible pour ne pas faire un esclandre qui nous aurait fait perdre du temps, devant refréner l’envie de leur botter d’importance l’arrière-train, avares des simples égards dus à votre statut de presque centenaires.
J’étais atterré à l’idée de vous demander de revenir au quai d’embarquement dont nous étions initialement partis. Pourtant nous avons fait cela. Nous avons fini par trouver un ange, complètement stressée de se faire en permanence engueuler par les autres passagers, dépourvue d’information, mais qui a compris l’importance pour vous de gagner Paris et le bus qui vous emmènerait pour la Normandie où vous devez être pour le 6 juin 2019.
Je n’ai pas voulu vous lâcher avant que vous ne soyez dans le train. Le président de l’association des anciens de la 82ème aéroportée a eu juste le temps de me lancer la médaille commémorative alors que les portes du train de refermaient.
Tu m’as expliqué que vous veniez de La Gleize, dans les Ardennes. Cela veut dire tout d’abord que chaque massacre au travers duquel tu es passé depuis la Normandie ne vous donnait que le droit d’aller au suivant. Cela veut aussi dire que tu es passé là où se trouvent de fabuleux souvenirs d’enfance. La Gleize, pour moi, c’est la maison de campagne « des sœurs Thonart », magnifiques résistantes, dont la plus célèbre, Madeleine, épouse Jacquemotte, qui ont été, dans mon histoire familiale, la première expérience de reconstruction d’une famille. Après que mon arbre généalogique ait été tailladé à vif par la guerre, elles ont pris sous leur aile le bourgeon qui était resté là, lui avez permis de grandir et, plus tard, de me donner le jour.
Je n’ai jamais été à l’armée. Je n’ai même jamais vraiment utilisé une arme à feu. Et c’est peu dire que je ne suis pas un fan du comportement des États-Unis d’Amérique à l’égard du reste du monde. Et pour moi, c’est l’Union Soviétique qui a supporté l’essentiel de l’effort nécessaire pour mettre à bas le nazisme. Mais autant je crois indispensable de garder les chiffres en tête pour comprendre l’histoire, autant je crois qu’il est tout autant indispensable de ne pas se laisser enfermer par et dans ces chiffres, et donc de garder en permanence à l’esprit que, derrière eux, il y a un ensemble de destins singuliers. Si on ne fait pas ça, alors on est prêt aux pires abominations.
Demain, vous écouterez les discours officiels : il y aura Donald Trump, Emmanuel Macron, Charles Michel, la Reine d’Angleterre aussi je crois. Ces discours seront officiels, foncièrement idéologiques.
Toi, tu m’as donné une appréhension concrète de ce qu’a voulu dire de monter dans ces planeurs – j’aime tant le planeur, que j’ai longuement pratiqué – dont les pilotes étaient totalement inexpérimentés, d’avoir cette peur ingérable de ce vol, de ces combats, de tous ces morts que vous avez vus, de vos familles qui avaient envoyé d’authentiques enfants de 19 ans à l’autre bout du monde.
De tout cela, et du reste aussi évidemment, je te remercie.
Vous aviez été faire un petit tour en Ardennes et aviez été pris dans un embouteillage qui vous a fait manquer votre direct Liège-Paris.
Bref, connaissant un peu la gare du Midi, je me suis dit qu’un peu d’aide ne serait pas superflue : expliquer que, oui, ce train allait jusque Bruxelles-Midi, collecter les bagages face aux navetteurs qui embarqueraient pour Ostende, changer de quai etc.
Tu ne me l’as pas expliqué comme ça, c’est moi qui déduit que tu as reçu un baptême de l’air en planeur pour tes vingt ans. En fait, c’était huit jours avant tes vingt ans.
Tes vingt ans, tu l’es a eus le 13 juin 1944. Et ton vol en planeur remonte à la nuit du 5 au 6 juin 1944. Direction les arrières des plages d’Omaha Beach.
Toi et tes trois amis, vous avez 95 ou 96 ans. Vous apparteniez à la 82ème division aéroportée de l’armée des États-Unis.
Nous avons couru en tout sens dans cette maudite gare du Midi, renvoyés d’un accompagnateur de train à un chef de train qui ne voulait pas prendre le risque de vous avoir debout dans son train, qui nous renvoie au bureau Thalys, qui nous renvoie au bureau des billets internationaux, qui veut nous renvoyer vers le bureau Thalys. Après avoir été déboutés du premier train, péniblement atteint après avoir été renvoyés d’un bout à l’autre de la gare par les agents de sécurité, nous avons tenté d’en joindre un second, nous frayant un chemin parmi les voyageurs. Vous étiez là, clopin-clopant, vaillants, sans jamais émettre la moindre plainte, pas même face à ces malotrus à qui je devais demander de vous laisser passer, le plus doucement possible pour ne pas faire un esclandre qui nous aurait fait perdre du temps, devant refréner l’envie de leur botter d’importance l’arrière-train, avares des simples égards dus à votre statut de presque centenaires.
J’étais atterré à l’idée de vous demander de revenir au quai d’embarquement dont nous étions initialement partis. Pourtant nous avons fait cela. Nous avons fini par trouver un ange, complètement stressée de se faire en permanence engueuler par les autres passagers, dépourvue d’information, mais qui a compris l’importance pour vous de gagner Paris et le bus qui vous emmènerait pour la Normandie où vous devez être pour le 6 juin 2019.
Je n’ai pas voulu vous lâcher avant que vous ne soyez dans le train. Le président de l’association des anciens de la 82ème aéroportée a eu juste le temps de me lancer la médaille commémorative alors que les portes du train de refermaient.
Tu m’as expliqué que vous veniez de La Gleize, dans les Ardennes. Cela veut dire tout d’abord que chaque massacre au travers duquel tu es passé depuis la Normandie ne vous donnait que le droit d’aller au suivant. Cela veut aussi dire que tu es passé là où se trouvent de fabuleux souvenirs d’enfance. La Gleize, pour moi, c’est la maison de campagne « des sœurs Thonart », magnifiques résistantes, dont la plus célèbre, Madeleine, épouse Jacquemotte, qui ont été, dans mon histoire familiale, la première expérience de reconstruction d’une famille. Après que mon arbre généalogique ait été tailladé à vif par la guerre, elles ont pris sous leur aile le bourgeon qui était resté là, lui avez permis de grandir et, plus tard, de me donner le jour.
Je n’ai jamais été à l’armée. Je n’ai même jamais vraiment utilisé une arme à feu. Et c’est peu dire que je ne suis pas un fan du comportement des États-Unis d’Amérique à l’égard du reste du monde. Et pour moi, c’est l’Union Soviétique qui a supporté l’essentiel de l’effort nécessaire pour mettre à bas le nazisme. Mais autant je crois indispensable de garder les chiffres en tête pour comprendre l’histoire, autant je crois qu’il est tout autant indispensable de ne pas se laisser enfermer par et dans ces chiffres, et donc de garder en permanence à l’esprit que, derrière eux, il y a un ensemble de destins singuliers. Si on ne fait pas ça, alors on est prêt aux pires abominations.
Demain, vous écouterez les discours officiels : il y aura Donald Trump, Emmanuel Macron, Charles Michel, la Reine d’Angleterre aussi je crois. Ces discours seront officiels, foncièrement idéologiques.
Toi, tu m’as donné une appréhension concrète de ce qu’a voulu dire de monter dans ces planeurs – j’aime tant le planeur, que j’ai longuement pratiqué – dont les pilotes étaient totalement inexpérimentés, d’avoir cette peur ingérable de ce vol, de ces combats, de tous ces morts que vous avez vus, de vos familles qui avaient envoyé d’authentiques enfants de 19 ans à l’autre bout du monde.
De tout cela, et du reste aussi évidemment, je te remercie.